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Réflexions orthodoxes face au projet de loi de fin de vie

Photo : Xénia Cr.

Le Président de la République souhaite faire évoluer la loi sur la question de la fin de vie, pour aller vers un “accès légal à une assistance au suicide”, pour certains cas très précis. Nous considérons toutefois qu’une évolution législative sur la fin de vie n’apportera pas les réponses escomptées. En effet, à part quelques cas largement médiatisés, la plus grande majorité des situations de fin de vie ou des situations de vie en général qui sont difficiles, douloureuses à traverser, ne trouvent pas de réponses uniquement dans la législation et dans la médecine.

L’évolution de la loi sur la fin de vie apportera-t-elle réellement les réponses escomptées ?

La législation française dispose déjà de plusieurs lois sur le droit des malades et la fin de vie. En 2002, une loi donnait le droit au malade de refuser des traitements. En 2005, une seconde loi établit la distinction entre le « laisser mourir » et « faire mourir ». « Laisser mourir » consiste à arrêter des traitements, à savoir des actes invasifs, agressifs, douloureux pour le malade, tout en cherchant à soulager ses douleurs physiques, psychiques ou autres. En revanche, « faire mourir » consiste à provoquer la mort délibérément et intentionnellement. Or, qui peut décider de retirer la vie d’un autre, même si cela est fait à la demande du malade, et comment – si cela est rendu possible – préciser les limites et éviter des abus ?

En 2016, une troisième loi ouvre la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, notamment à la demande du patient dans des situations où le pronostic vital est engagé à court terme et en cas de souffrances réfractaires aux traitements disponibles.

Par conséquent, ces lois sur la fin de vie ont déjà considérablement changé les pratiques du soin et ont participé à un vrai questionnement sur les finalités de l’acte médical en France. La question pourrait se poser ainsi : qu’est-ce qui pourrait nous faire penser qu’une nouvelle loi permettrait d’améliorer ou non la prise en charge des patients en fin de vie ?

En outre, dans l’annexe du nouveau projet de loi, les critères d’accès à l’euthanasie évolue vers une législation de moins en moins stricte. Or, nous sommes d’avis que l’euthanasie ne devrait pas devenir la réponse des législateurs et des acteurs du soin à l’absence de réponses médicamenteuses. Également, une telle loi pourrait créer un poids chez les personnes les plus vulnérables qui intérioriseraient leur « inutilité », acceptant mal le fait d’être un fardeau ou de vivre une vie « dépourvue de sens ».

Il nous semble donc plus important et plus urgent de travailler nos représentations de la maladie et de la mort dans nos sociétés et explorer les pratiques médicales, en particulier celles des soins palliatifs, avant de procéder à une éventuelle évaluation de la loi allant dans le sens de rendre possible « un accès légal à une assistance au suicide ».

La mort n’est pas un échec dans la pratique médicale

La mort ne devrait pas être comprise comme un échec dans la pratique médicale. Le fait de penser que la médecine guérirait de tout et que les médecins seraient présents uniquement pour sauver des vies, ne constituerait-il pas un fantasme ? La médecine ne serait-elle pas aussi essentielle pour prendre soin, c’est-à-dire pour répondre aux attentes d’un patient, avec l’ensemble des compétences et connaissances acquises à travers de longues formations et études et par la pratique du soin au quotidien par l’ensemble du corps soignant ?

Pour alléger les situations de fin de vie, ne serait-il pas plus pertinent de former les soignants à accompagner des patients dans des situations de fin de vie difficile, c’est-à-dire à les écouter, les comprendre, soulager leurs souffrances et répondre à leurs attentes.

Ce temps accordé aux personnes malades et en fin de vie permettrait également de mieux interroger leurs demandes de mourir. Ces dernières sont très complexes et il faut souvent du temps pour les comprendre. Ces moments de fin de vie, sans pour autant les idéaliser, ouvrent des espaces d’échanges qui s’avèrent être essentiels et profonds, et apportent en soi le soulagement recherché. Abréger ces moments ou les supprimer, c’est prendre le risque de se priver d’une dimension de la confrontation à la mort, y compris pour les proches.

L’un des arguments pour provoquer la mort serait “l’autonomie”, mais il est légitime de se demander : quelle autonomie a-t-on quand on demande à un autre, en l’occurrence le médecin, de provoquer la mort ? Et qu’en est-il de l’autonomie de l’autre auquel on fait une pareille demande (proches ou équipe soignantes) ? Comment prendre en compte également l’autonomie des personnes qui sont hospitalisées à la suite d’une tentative de suicide ? Faut-il dans ce cas mettre en place une réanimation, la poursuivre, l’arrêter ? Faut-il simplement se fier à leur autonomie sans chercher à interpréter ce geste comme un appel à l’aide ?

Ainsi, analyser ces demandes de mort lors de souffrances morales et existentielles sont difficiles, complexes et demandent du temps et du personnel compétent. Pour pouvoir répondre à un tel exercice, il faudrait accroître le nombre de soignants et améliorer les conditions de leur travail. Car le soin n’est pas seulement un acte technique, il est avant tout un accompagnement hautement humain de tout acte qui soigne.

Quelle vision de la mort et de la maladie dans l’Eglise orthodoxe?

Ces réflexions sont portées par quelques convictions fondamentales de la foi chrétienne telle qu’elle est enseignée et vécue par l’Église orthodoxe :

mourir fait partie de la condition humaine marquée par la chute d’Adam, mais la vie d’une personne humaine ne peut pas se réduire à la mort qui aurait le dernier mot. La condition humaine devrait toujours être envisagée à la lumière de la Résurrection du Christ. Selon la théologie orthodoxe, l’objectif final de toute vie est la communion éternelle avec Dieu, or celle-ci est indissociable de la relation profonde et attentif que tout être humain (peu importe son état de santé mentale, physique ou autre) a avec l’ensemble de la création divine. Il est vrai, qu’en considérant la vie comme un don éternel de Dieu, la mort reste un dernier ennemi. Or celui-ci a été vaincu une fois pour toute par la mort et la résurrection du Christ. Depuis, la mort est transformée en un « passage » bienvenu, qui nous guide vers la vie éternelle de communion joyeuse qui ne connaîtra ni fin ni souffrance ni séparation.

Dieu est le créateur de la vie et toute vie est l’œuvre de Dieu. Dès lors, ni la vie ni la mort ne nous appartiennent. Dans cette perspective, il semble clair qu’il ne faudrait pas s’acharner à prolonger artificiellement la vie pour éviter la mort biologique, ni l’abréger afin d’éviter tout contact avec l’angoisse suscitée par la mort. Les questions qui se posent en ces moments difficiles ne sont souvent pas d’ordre purement médical ou biologique, mais touchent à l’ensemble de la condition de vie d’un être humain. La personne humaine souffrante reste une personne humaine « à l’image et à la ressemblance » de Dieu tri-unique, un mystère que la science ne pourra jamais circonscrire dans sa totalité. C’est cette participation à la vie divine instaurée par l’incarnation du Christ et l’Église – son Corps, qui empêche de pétrifier l’homme, de le chosifier en produit moral ou physique et de l’humilier.

Les communautés ecclésiales devraient donc porter une attention particulière aux personnes souffrantes et malades. Elles devraient également rechercher parmi les voies existantes ou en créer de nouvelles pour repenser et renforcer ses pratiques du soin. Elles peuvent non seulement prier pour les personnes malades, mais mettre en place des aumôneries, là où elles n’existent pas, ou renforcer celles qui existent, où les personnes formées pourraient accompagner de près les personnes souffrantes ainsi que leurs proches. Dans cette perspective, les aumôniers chrétiens pourraient renforcer les rangs de ceux qui œuvrent dans les soins palliatifs. Ils pourraient ainsi être à l’écoute des questions et des peurs qui accablent les personnes en fin de vie et leur épargner le sentiment de solitude et d’abandon. Ils pourraient aider à la préparation à une mort où les valeurs premières, c’est-à-dire spirituelles, seraient respectées, à savoir, que le malade puisse maintenir autant que possible une relation consciente et personnelle avec Dieu et avec le monde qui l’entoure, qu’il puisse se confesser et communier une dernière fois, et qu’il se sache accompagné par la présence, l’amour et la prière de ceux qui le remettent doucement et paisiblement entre les mains de Dieu. D’autres pratiques pourraient être également envisagées au cours de l’accompagnement des malades et de leurs proches qui pourraient les fortifier dans l’espoir que la mort n’a et n’aura pas le dernier mot.

Julija Naett-Vidovic

Julia Naett-Vidovic est serbe, enseignante de bioéthique à l’Institut de Théologie Saint-Serge à Paris et spécialiste de St Maxime le Confesseur. Elle donne des interventions régulières sur les questions de bioéthique, selon une perspective orthodoxe, et a publié plusieurs écrits.

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