Le premier dimanche du Carême, le dimanche de l’Orthodoxie, nous fournit l’occasion de jeter un coup d’œil sur le plan des dimanches du Grand Carême.
Dans la période du Carême, nous pouvons distinguer des couches successives de traditions liturgiques de différentes époques et origines. On y trouve des éléments très anciens, mais aussi d’autres beaucoup plus récents. On peut y reconnaître des fondements provenant de Jérusalem, ainsi que des élaborations et adjonctions provenant de Constantinople. Très souvent, les éléments anciens disparaissent complètement et nous n’en apercevons que des traces ; d’autres fois de tels éléments se sont conservés, notamment aux jours ordinaires du Carême. Quant aux éléments plus récents, doués d’un plus grand dynamisme, ou bien ils l’emportent sur les premiers et les dominent, ou bien ils se mêlent aux éléments primitifs, et cette coexistence occasionne toute une foule d’interrogations et de problèmes de nature historique. Toutes les époques, presque, et tous les hymnographes ecclésiastiques sont représentés dans les offices du Grand Carême. Malgré cette mosaïque étonnante, on peut y reconnaître une ligne directrice générale et une relative unité. Cela est dû au fait que, de bonne heure, la structure de fond de cette période s’est cristallisée et ses objectifs furent fixés dès le début. C’est pour cette raison que les éléments individuels et ces éléments ultérieurs ont trouvé leur place dès leur introduction dans ce cadre.
Les thèmes initiaux des dimanches de carême
Les dimanches du Grand Carême sont au nombre de cinq et on les compte à la suite, à partir du premier jusqu’au dimanche des Rameaux, comme les 1er, 2e, 3e, 4e et 5e dimanches de Carême. Les thèmes héortologiques initiaux de ces dimanches s’étaient fixés certainement à Jérusalem. Toute l’hymnographie du dimanche gravitait autour du thème de la péricope évangélique, lequel s’accordait avec les thèmes de base du Carême. Et l’hymnographie de la semaine qui suivait, elle aussi, s’inspirait le plus souvent du thème du dimanche. Si bien que le Carême comprenait cinq cycles, chacun d’eux ayant un thème particulier.
Le premier dimanche était consacré à la mémoire des prophètes, et cela sans doute en référence au thème du dimanche précédent (la Tyrophagie) : la chute des premiers parents. Les deux premiers stichères des Vêpres le doxasticon de la litie ainsi que le doxasticon des Laudes et encore un certain nombre d’idiomèles, chantés aux jours ordinaires de la deuxième semaine, sont des restes de l’hymnographie primitive de ce jour. La lecture de l’épître, elle aussi, a trait aux combats et aux souffrances des Prophètes (Hb 11, 24-26, 32-40) et la lecture évangélique qui parle de la reconnaissance par les Apôtres, dans la personne de Jésus, du Messie annoncé par les Prophètes (Jn 1, 44-52) ainsi que le Prokimenon Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères… et l’Alléluia Moïse et Aaron, parmi ses prêtres… qui précèdent ces lectures, proviennent, eux aussi, de cette couche ancienne du thème initial.
Le deuxième dimanche donnait comme lecture la parabole du Fils prodigue (Lc 15, 11-32). Ce thème a été oublié de nos jours. Cependant les trois odes du canon et les idiomèles de la semaine qui suit sont tous inspirés de cette parabole.Le troisième dimanche était dominé par le thème du repentir du publicain et on faisait la lecture de la parabole correspondante de l’Évangile (Lc 18, 10-14). Aujourd’hui, dans les offices de la quatrième semaine, ne subsiste de ce thème que le doxasticon des Laudes du dimanche En paraboles, le Seigneur de l’univers nous enseigne comment il faut se préserver de l’arrogance des Pharisiens et de nombreux idiomèles de la semaine suivante. La quatrième semaine était consacrée à la parabole du Bon Samaritain et à celui « qui tomba au milieu des brigands » (Lc 10, 29). Le canon a été conservé le dimanche, et aussi les idiomèles et les trois odes au cours de la semaine.Le cinquième dimanche, on lit la parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31). Pareillement ici, nous avons un canon le dimanche et trois odes et idiomèles pendant les offices des jours ordinaires de la sixième semaine, qui se rapportent au thème du riche et de Lazare.
Les thèmes actuels des dimanches de carême
Actuellement, les thèmes de ces dimanches sont différents. Le premier dimanche est celui de l’Orthodoxie, le deuxième est consacré à la mémoire de saint Grégoire Palamas, le troisième est le dimanche de la vénération de la Sainte Croix, le quatrième est dédié à la mémoire de saint Jean Climaque et le cinquième à celle de sainte Marie l’Égyptienne. Le remplacement des thèmes primitifs par les nouveaux eut lieu plus tard à Constantinople, de manière progressive, entre le Ve et le XIVe siècle. Il n’est pas facile de préciser les raisons profondes des changements intervenus, ni l’année exacte où ils se sont produits, au moins dans la plupart des cas. L’une des raisons semblerait avoir été l’effort d’introduire, dans les dimanches de Carême, des péricopes de l’Évangile selon saint Marc, qui n’étaient pas lues pendant les autres périodes de l’année. Il en résulte que les thèmes de ces dimanches ont été privés de l’indispensable support biblique que leur procurait la lecture des paraboles du Publicain et du Pharisien, de l’Enfant prodigue, du bon Samaritain et du riche et Lazare, lesquelles appartiennent à l’Évangile de saint Luc.
Une autre raison a été vraisemblablement le développement de la vénération des saints. La célébration de leur mémoire était interdite pendant le Carême. Cependant, les dimanches et samedis constituaient une exception : ces deux jours étaient comme des îlots ou des oasis au milieu du désert du Carême. Il y avait des lieux où on ne les comptait même pas dans les quarante jours de Carême. Il fallait donc que la mémoire de certains grands saints, qui tombait les jours ordinaires du Carême, fût transférée à ces dimanches. Et cela à plus forte raison si l’exemple des saints s’accordait au temps du Carême. C’est ainsi que la mémoire de sainte Marie l’Égyptienne, en tant que modèle de pénitence, a été transférée du 1er avril au 5e dimanche de Carême, l’ancien dimanche du mauvais riche et du pauvre Lazare ; de même, la mémoire de saint Jean Climaque a été transférée du 30 mars au 4e dimanche de Carême. Il est également probable que la fête de la Vénération de la Croix, célébrée le 3e dimanche de Carême provienne du déplacement de la fête de l’invention de la Sainte Croix (6 mars). Le fait du rétablissement des saintes Icônes, qui a eu lieu le 1er dimanche du Carême de l’an 843, sous l’impératrice Théodora, a fourni le thème à ce premier dimanche. Quant à la mémoire de saint Grégoire Palamas, elle a été placée le deuxième dimanche de Carême, soit par analogie avec la mémoire de cet autre ascète, saint Jean Climaque, soit comme prolongement du thème du dimanche de l’Orthodoxie. Saint Grégoire, en effet, a été le défenseur et la colonne de la foi orthodoxe. Les anciennes lectures du 2e et du 3e dimanche du Carême, et peut-être une partie de l’hymnographie ancienne de ces dimanches, ont été transférées aux deux dimanches préparatoires du Carême ultérieur : le dimanche du Publicain et du Pharisien et celui de l’Enfant prodigue.
Jean Foundoulis (+)
Jean Foundoulis (1927-2007), marié et père de trois enfants, a écrit de nombreux livres et articles sur les questions liturgiques. Il a été professeur à l’université Aristote de Thessalonique et directeur de l’Institut patriarcal des études patristiques à Thessalonique.
Source : Extrait des Catéchèses liturgiques publiées par les éditions Apostolia en 2019.
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