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Le diaconat féminin et le « nez du chameau »

Les opposants à l’ordination de femmes diacres dans l’Église orthodoxe avancent deux arguments principaux : « l’ordre naturel et fonctionnel de l’homme et de la femme » et la conviction que les femmes diacres conduiront inexorablement à une série d’autres changements non désirés dans l’orthodoxie.

La subordination naturelle de la femme à l’homme

Ceux qui s’opposent à l’ordination des femmes à des fonctions liturgiques ou même non liturgiques soutiennent qu’il existe un ordre naturel entre l’homme et la femme, selon lequel Dieu a voulu que les femmes soient subordonnées aux hommes. Cette théorie de l’ordre naturel remet en question un principe fondamental de l’anthropologie patristique, l’égalité ontologique des hommes et des femmes. Ce principe est exprimé avec beaucoup de force dans le Discours 37 (6-7) de saint Grégoire de Nazianze, dans le cadre d’une discussion sur la chasteté et l’adultère. Grégoire écrit notamment :

« La femme qui trompe son mari commet l’adultère et subit les conséquences amères des lois, mais au contraire l’homme qui trompe sa femme avec une prostituée ne subit aucune sanction. Je n’accepte pas cette législation, je n’approuve pas cette coutume. Ce sont les hommes qui ont établi ces lois, et c’est pourquoi cette législation est dirigée contre les femmes. […] Dieu n’agit pas ainsi, mais il dit : « Honore ton père et ta mère » […] Remarquez l’égalité de la législation : un seul et même créateur de l’homme et de la femme ; une seule et même poussière pour les deux ; une seule image ; une seule loi ; une seule et même mort, une seule et même résurrection. […] Le Christ sauve l’un et l’autre par sa souffrance. Le Christ s’est-il fait chair pour l’homme ? Il l’a fait aussi pour la femme. Est-il mort pour l’homme ? La femme est également sauvée par sa mort ».

De même, saint Basile le Grand écrit Sur la condition humaine, 18 :

« La femme a été créée également à l’image de Dieu, tout comme l’homme. Les natures sont de même valeur, les vertus sont égales, les efforts sont égaux, les jugements sont égaux ».

Certains opposants à l’ordination des femmes admettent, avec réticence, le principe patristique de l’égalité ontologique des hommes et des femmes, mais ils le renversent immédiatement en avançant le nouveau principe de la subordination ou de la soumission des femmes aux hommes. Selon la théorie de la subordination, puisque les femmes sont destinées à être subordonnées aux hommes, elles ne peuvent pas exercer d’autorité sur eux. Cela signifie que les femmes doivent être inéligibles à toute forme de gouvernance dans l’Église qui inclut l’autorité sur les hommes, en particulier, bien sûr, toute fonction cléricale. Dans cette logique, les femmes ne devraient pas diriger les conseils paroissiaux ni même les chorales paroissiales, ce qui leur donnerait une autorité sur les hommes. Et bien sûr, même le fait de chanter dans une chorale d’église est une fonction liturgique. Certains reconnaissent que le principe de subordination n’est pas viable dans la société civile et limitent donc la subordination des femmes à deux domaines, l’église et la famille. Le fait d’admettre que les femmes peuvent avoir une autorité sur les hommes dans n’importe quel domaine met en échec la subordination en tant que principe ontologique. La théologie talibane est plus cohérente.

Le principe de subordination ou de soumission dénature l’enseignement patristique sans équivoque de l’égalité ontologique de l’homme et de la femme et ne peut être soutenu. Les partisans de la théorie de l' »ordre naturel » ne tentent pas de réconcilier deux principes ontologiques opposés, l’égalité et la subordination, mais les considèrent comme compatibles. Cela n’est pas soutenable non plus.

Heureusement, les Pères de l’Église, en bons philosophes et théologiens qu’ils étaient, ont vu l’incompatibilité entre l’égalité et la subordination ou la soumission. Cela est tout à fait évident dans la théologie trinitaire : les Pères ont rejeté de manière décisive toute allusion à la subordination des personnes de la Sainte Trinité à d’autres personnes. Au contraire, ils ont affirmé l’égalité ontologique du Père, du Fils et du Saint-Esprit, une égalité exprimée dans le terme du Credo homoousios (consubstantiel). Pour les Pères, les hommes et les femmes sont également de même nature.

Les opposants à l’ordination des femmes invoquent le caractère inévitable d’autres changements qui découleraient de l’institution de femmes diacres dans l’Église orthodoxe. Ces changements indésirables en aval incluraient des femmes prêtres, des femmes évêques, l’acceptation du mariage homosexuel, la confusion transgenre, des prêtres LBGTQ2, des changements dans les lectures du service de mariage, ou dans les désignations de genre pour Dieu, ce qui entraînerait un schisme, une perte catastrophique de membres, la défection du clergé et l’érosion de la tradition. Et qui sait ? L’ouverture de la boîte de Pandore des femmes diacres entraînerait sans doute toute une série d’autres maux : légalisation de la marijuana, énergies renouvelables, médicaments génériques, accès universel aux soins de santé, protection de l’environnement, contrôle des armes à feu…

L’argument de la pente savonneuse

Ce type d’argumentation est communément appelé « la pente savonneuse », « la partie visible de l’iceberg » ou, plus joliment, « le nez du chameau » (le chameau met son nez dans la tente, mais bientôt le reste du chameau y entre aussi). Il s’agit d’un sophisme logique parmi d’autres, c’est-à-dire d’un argument logiquement invalide. Pour être valable, un tel argument devrait prouver sans l’ombre d’un doute que les conséquences en aval se produiront inévitablement et invariablement, comme dans les réactions chimiques liées ou la physique nucléaire. Ceux qui avancent cet argument se réfèrent généralement à l’expérience d’autres églises chrétiennes, de l’église anglicane et d’un certain nombre d’églises protestantes. Ils négligent l’expérience de l’Église orthodoxe elle-même : il y a eu des diaconesses dans l’orthodoxie pendant de nombreux siècles sans que cela n’ait conduit à des femmes prêtres. L’expérience des Églises non orthodoxes est-elle plus valable que celle de l’Église orthodoxe elle-même ?

L’argumentation de la « pente savonneuse » n’a pas de contenu philosophique ou théologique, mais est plutôt un artifice rhétorique ou un argument psychologique qui fait appel aux émotions des auditeurs ou des lecteurs, en particulier à la peur. Il s’agit d’une « stratégie de la peur « . Non seulement la peur des conséquences indésirables en aval, mais aussi la peur que les femmes diacres puissent s’avérer aussi efficaces que les hommes diacres dans l’exercice des fonctions liturgiques, qu’elles puissent même être plus efficaces que les hommes dans les fonctions de service social, longtemps négligées ou ignorées par les hommes diacres.

Des aspects fondamentaux de la foi orthodoxe sont-ils en jeu dans la question des diaconesses ? Les femmes diacres dans l’orthodoxie n’affectent pas notre croyance en la Trinité, le Christ en tant que vrai Dieu et vrai homme, l’Eucharistie, l’Église une, sainte, catholique et apostolique, le chemin vers la théosis. Les portes du paradis ne seront pas fermées s’il y a des femmes diacres dans l’Église orthodoxe.

En conclusion, l’égalité ontologique ou la consubstantialité des hommes et des femmes ne peut admettre le principe ontologique de la subordination ou de la soumission des femmes aux hommes. L’ « ordre naturel et économique de l’homme et de la femme » est une théologie insoutenable, le vieux loup misogyne familier sous une peau de mouton théologique.

La restauration du diaconat des femmes doit être examinée sur ses propres mérites. C’est ce qui a été fait lors du Symposium inter-orthodoxe sur « La place de la femme dans l’Église orthodoxe », qui s’est tenu à Rhodes en 1988. La conclusion de ce symposium appelle sans ambiguïté à la renaissance de l’ordre des diaconesses (§32), tout en s’opposant à l’ordination des femmes à la prêtrise (§14). Si la peur est un facteur psychologique légitime qui motive souvent secrètement le comportement et la pensée humaine, elle n’est pas un argument théologique. Des procédés rhétoriques et des appels émotionnels peuvent être utilisés pour soutenir la théologie, mais la théologie elle-même doit d’abord être fermement ancrée dans les Écritures et la tradition dogmatique orthodoxe.

Paul Ladouceur

Paul Ladouceur enseigne à l’Orthodox School of Theology du Trinity College (Université de Toronto) et à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).  Il a publié des traductions françaises d’écrits de Sainte Marie de Paris (Sainte Marie de Paris, Le Jour du Saint Esprit, (Paris, éd. du Cerf, 2011), et du Père Lev Gillet (Lev Gillet, Le Pasteur de nos âmes, Paris, YMCA Press/De Guibert, 2008).  

Source : https://publicorthodoxy.org/2018/02/23/deaconesses-and-the-camels-nose/

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