Pour l’été, grande époque des pèlerinages et randonnées, nous vous proposons quelques pages tirées du livre de Cyrille Boland, publié chez Salvator au printemps 2024, En Provence sur les traces de Marie-Madeleine. Cet ouvrage mêle témoignage personnel, récit de voyage et interrogations sur cette figure si populaire, mais dont l’Évangile parle très peu.
À nouveau, nos pas rejoignent ceux de Marie Madeleine. L’instant est solennel : comme les compagnons-bâtisseurs qui achèvent ici leur tour de France, nous arrivons au terme de notre semaine de pèlerinage en passant le portique qui marque l’entrée du sanctuaire accroché aux flancs de la falaise. Marie blottit sa main transie dans la mienne. La tradition provençale rapporte que c’est ici, en cet antre grandiose, que la Magdeleine, ermite, vécut les trente dernières années de sa vie. Le lieu où nous pénétrons transpire de cette présence lumineuse propre aux lieux sacrés.
On sait en effet avec certitude qu’au Ve siècle, le massif de la Sainte-Baume était déjà habité et fréquenté par des chrétiens : les moines cassianites. Et depuis le haut Moyen Âge au moins, ce sanctuaire est vénéré par les catholiques et considéré comme un des plus importants sites de la chrétienté occidentale. La cavité naturelle, évidemment transformée en édifice religieux, est assez impressionnante. Difficile tout de même d’imaginer qu’on ait pu affronter, dans cette vaste retraite escarpée, froide et terriblement humide, plusieurs décennies d’exil !
Nous y pratiquons quelques dévotions au son de l’écho des gouttes de calcite qui suintent de la roche poreuse. Puis nous nous mettons au chaud dans une pièce qui abrite les pèlerins de passage, le temps d’un thé noir, avant de reprendre notre route pour traverser la forêt millénaire. Un espace tout à fait original en Provence, en raison du microclimat engendré par la haute falaise qui lui fait un écrin de cent cinquante mètres d’à-pic. Du fait de son exposition au nord, l’ensoleillement y est limité, l’humidité permanente, ce qui a permis le développement grandiose de chênes pubescents, de hêtres et d’ifs géants.
Sortis de cette luxuriante forêt, nous débouchons sur un chemin menant droit à l’hôtellerie dominicaine datant du XIXe siècle. La présence des Dominicains, gardiens du sanctuaire par bulle pontificale, remonte au XIIIe siècle ; elle y est continue depuis 1859. Après les vêpres chantées par quatre frères prêcheurs dans leur chapelle pastel joliment fresquée d’épisodes de l’apostolat magdalénien, nous partageons, dans le réfectoire, un dîner copieux avec un charmant hospitalier bénévole et quelques convives hétéroclites, comme cette Nord-Américaine venue puiser à la Sainte-Baume l’inspiration pour son prochain best-seller ésotérique. Selon ses affirmations, tout comme elle nous aurions été poussés à venir en ce lieu, « aimantés par les puissantes énergies qui en émanent ».
Marie Madeleine a-t-elle réellement vécu à la Sainte-Baume ? C’est sur ce point que les avis divergent le plus, et que nous avons le moins de certitudes. La clef de cette énigme se trouve peut-être à Marseille, dans un reliquaire où les restes du dénommé Jean Cassien, vénéré comme le père du monachisme occidental, reposent en paix. Le vénérable Cassien accosta au port de Massalia en 414 ; il connaissait bien l’Orient, pour avoir longuement séjourné auprès des Pères du désert avant de trouver refuge à Constantinople puis à Rome. Missionné en Provence par le pape, Cassien s’employa à y diffuser le monachisme primitif. Ses premières fondations, à Saint-Victor pour les hommes et à Saint-Sauveur pour les femmes, s’étendirent bientôt à une multitude d’ermitages établis dans la vallée de l’Huveaune. Voulant prendre Marie Madeleine comme modèle pour ses moines et vierges cassianites, il lui aurait donné cette figure d’ermite résidant au désert de la Sainte-Baume. Fait troublant : la Magdeleine partage beaucoup de traits d’une autre Marie, dite « l’Égyptienne », une autre belle femme, originaire d’Alexandrie, adepte de la gnose et péripatéticienne repentie. Cassien a très bien pu avoir connaissance de l’histoire alors récente (vingt ans !) de cette sainte ermite des déserts de Judée. À la figure de Marie de Magdala, il aurait donc agrégé celle de Marie d’Égypte. D’ailleurs, l’histoire chrétienne ancienne le montre assez : dès lors que plusieurs saints partageaient un même prénom, l’Église a eu tendance à les confondre : les Pères eux-mêmes s’y sont perdus. Telle pourrait être l’origine d’une Marie Madeleine prostituée repentante, ermite à la Sainte-Baume.
Retour à la case départ. Au programme du jour : auto-stop sous un soleil souverain. Rapidement, nous sommes pris en charge par une mère de famille qui nous confie son désarroi face à la frénésie consumériste de son mari et de ses enfants. Née au sein d’une famille ouvrière, elle ne peut réprimer un soupir de nostalgie :
— Maintenant, la plupart des gens sont devenus individualistes. Et surtout, ils ont perdu savoir-faire et idéaux. La seule chose à laquelle ils aspirent, c’est d’accumuler le maximum de fric et de babioles ! Jadis, c’était très différent. On se serrait les coudes et la ceinture. L’argent, on savait s’en passer. Ce dont on avait besoin, on le fabriquait de ses propres mains.
Sur son itinéraire, elle effectuera un détour de dix kilomètres pour nous déposer à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, devant l’imposante basilique gothique inachevée – il lui manque sa façade et son clocher –, sur le lieu où, selon la tradition locale, reposent Marie Madeleine et son ami confesseur.
La crypte, beaucoup plus sobre que l’église, correspondrait à l’oratoire édifié par l’évêque Maximin. Nous y rendons grâce pour cette surprenante semaine, pour ce compagnonnage tant fraternel que spirituel. En réponse, le visage de la Magdeleine nous tend son sourire millénaire. En fait de visage, un crâne richement coiffé d’une perruque d’or incrustée de pierreries, porté par quatre anges, devant deux sarcophages en marbre identifiés comme ceux de Maximin et de Marie Madeleine. Sous le chef, dans un tube de cristal, le Noli me tangere, lambeau de chair relique de la parcelle de son front effleurée par Jésus au matin de la Résurrection.
Dehors, des marques représentant des coquilles nous révèlent que nous sommes sur l’un des itinéraires de Saint-Jacques-de-Compostelle. Empruntant une ancienne voie romaine – la Via Aurelia, qui reliait Rome à Arles –, celui-ci traverse Aix-en-Provence avant de rejoindre un des quatre chemins majeurs, la Via tolosana, aux portes de la Camargue.
Cyrille Boland est apiculteur, et diacre de la paroisse orthodoxe d’Agen. Il a créé en 2013 un nouveau chemin de pèlerinage sur les traces de sainte Marie-Madeleine, et est président de l’association Chemins des Saintes et Saints de Provence.
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