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Réflexions pour une orthodoxie missionnaire

L’Église en tant que signe, sacrement du Royaume de Dieu, en tant que prémices de l’humanité nouvelle transfigurée par l’Esprit Saint, doit se donner au monde entier. Elle ne peut pas être une communauté fermée et tout ce qu’elle possède ou tout ce qu’elle vit est destiné à l’humanité tout entière.

Le témoignage orthodoxe, en commençant dans le silence de la participation à la souffrance et à la douleur du prochain, avance dans l’allégresse vers l’annonce de l’Évangile qui culmine dans la liturgie. Sa finalité est de créer des communautés eucharistiques dans des lieux nouveaux où les hommes célèbreront les mystères du Royaume de Dieu dans un lieu particulier culturellement et feront rayonner la présence et la gloire de Dieu dans ce lieu. Le témoignage orthodoxe est donc une participation personnelle au processus de transfiguration du monde qui a déjà commencé en Christ et s’accomplira aux derniers temps.

Pour la ré-évangélisation du monde, l’Église orthodoxe n’a pas besoin de recourir aux méthodes contraignantes ou fallacieuses qui ont jadis blessé l’intégrité de différentes missions chrétiennes, mais elle respecte les particularités de chacun et l’identité culturelle, elle met en œuvre ses propres moyens que sont la vie liturgique, l’offrande des sacrements et son amour sincère. La mission orthodoxe ne peut se limiter à une offre éducative, à l’aide sanitaire ou au développement matériel et technique, elle se doit de proposer à chacun, et tout particulièrement au pauvre et à l’opprimé, la foi que chaque homme a une valeur unique aux yeux de Dieu, et que, puisqu’il a été créé à son image et comme à sa ressemblance, il est destiné au plus grand bien, devenir semblable au Christ, participer à la gloire divine, parvenir à la divinisation. Voilà donc les fondamentaux pour toute autre expression de la dignité humaine. La foi chrétienne offre la plus parfaite anthropologie, celle qui surpasse toute vision humaniste. Libre aux hommes de l’accepter ou non, selon leur choix et leur responsabilité.

Les fidèles des autres religions exercent une critique acerbe contre certaines missions chrétiennes, lorsqu’ils les voient se commettre avec l’orgueil, l’égoïsme, le pouvoir politique, les intérêts non religieux. Mais il n’est pas juste de réduire la mission chrétienne aux erreurs d’une partie de la chrétienté occidentale d’une certaine époque (en particulier de l’époque coloniale).

Cette critique très dure s’adresse aux chrétiens et non pas au Christ. Le grand changement viendra dans le monde lorsque nous, chrétiens, nous vivrons, nous agirons, nous répondrons à notre mission en marchant sur les traces du Christ. La puissance de Dieu s’exprime souvent dans le paradoxe d’une absence de puissance mondaine et n’est vécue que dans le mystère de l’amour, dans la simplicité extérieure.

Nous avons besoin de nous examiner sincèrement et de nous convertir sans cesse. Cela ne signifie pas que nous réduirons le témoignage orthodoxe pour accepter d’en arriver à un dialogue qui aura perdu toute sa substance. Mais il nous faut accueillir librement la logique de l’amour, la logique toujours révolutionnaire du Christ qui s’est anéanti pour venir habiter la réalité concrète de l’humanité. Nous devons accepter sa manière de vie et sa mort dans une continuelle transfiguration de gloire en gloire. Pour nous, les orthodoxes, il ne s’agit pas de réduire ou de restreindre notre témoignage, mais de vivre notre mission sur les traces du Christ. 

Ainsi, en prenant la condition humaine, le Dieu inaccessible a donné une valeur particulière à la personne humaine et spécialement au corps humain, ce chef d’œuvre de la création, ainsi qu’à la création tout entière en tant que l’homme y participe.

Je ne parlerai pas ici de tout ce que la grâce de Dieu a accompli en Albanie, mais je soulignerai les trois principes théologiques qui ont gouverné cet effort missionnaire. D’abord le kérygme, la catéchèse et la vie liturgique dans la langue de chaque lieu ; puis la création d’un clergé indigène et de cadres laïc locaux ; enfin l’autonomie économique pour que la vie de l’Église puisse se poursuivre et se développer. Et je pense que ces trois principes doivent être à l’avenir les fondamentaux de toute œuvre missionnaire orthodoxe.

Le XXIe siècle nous réserve d’autres conditions mais aussi d’autres possibilités de transmission du message du Christ dans de nouveaux milieux partout sur la terre. Les générations futures sont appelées à affronter les problèmes qui resurgissent et à tirer parti des évolutions technologiques. Il faudra créer des structures inter-orthodoxes pour le témoignage orthodoxe partout sur la terre et former des cadres d’Églises capables de gérer cela, avec un discernement inspiré par l’Esprit Saint et de l’audace, car ils devront travailler aussi bien la théologie que leur zèle missionnaire et que le renoncement à soi-même.

Archevêque Anastase de Tirana, Durrës et de toute l’Albanie

L’archevêque Anastase (Yannoulatos) a mené une activité missionnaire majeure, tant au sein de l’Église de Grèce qu’à l’étranger, notamment en Afrique. Archevêque d’Albanie depuis 1992, il s’est pleinement investi dans la reconstruction de l’Église autocéphale d’Albanie. Docteur en théologie, il est l’auteur de nombreux livres.

Source : Extraits du livre Mission, Sur les traces du Christ (Éditions Apostolia, Limours, 2021). Publiés avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

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