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Devenir Christ par l’Eucharistie

Nous communions au Corps du Christ. L’Écriture emploie le terme « Corps du Christ » à propos de trois réalités : le corps né de Marie et élevé à la droite du Père après la Passion ; le pain eucharistique ; l’assemblée des fidèles.

Pour autant qu’on puisse en juger, il ne s’agit pas d’une liste de synonymes, mais de l’expression d’une dynamique : en absorbant le pain eucharistique, les hommes deviennent Église afin d’avoir part à la victoire du Christ sur la mort.

L’Église est expansion du Corps du Christ sur la terre. Nous entrons à l’église en tant que foule venue de la rue afin d’y recevoir la vie nouvelle en buvant à la Coupe. Ainsi la matière sur laquelle s’accomplit le miracle eucharistique est finalement l’humanité. Le plus grand miracle n’est pas tellement le fait que le pain et le vin devienne chair et sang dans le calice, mais que nous devenions Christ.

La prière de l’Épiclèse demande : « Envoie ton Esprit Saint sur nous et sur ces dons ». Les hommes, « nous », sommes les premiers objets de la sanctification. L’épiclèse n’est pas une simple invocation, prononcée uniquement en vue de la transformation du pain et du vin. Dans l’épiclèse, nous prions également pour que tous communient véritablement au mystère du Corps du Christ. Par les saints dons, nous sommes aussi sanctifiés : « les saints dons aux saints ».

L’injonction « Élevons nos cœurs », au IIIe siècle, était plus longue : « Élevons nos cœurs ! Si quelqu’un a de la haine pour son frère, qu’il se réconcilie avec lui ! Si quelqu’un est torturé par des remords de conscience, qu’il se confesse ! Qui est souillé, qui est faible, qu’il laisse la place ! Examinez-vous : n’ayez pas de haine pour votre prochain ! Que personne ne se mette en colère, Dieu voit tout ! Élevez vos cœurs en vue du salut de votre vie et de la sainteté. Selon la sagesse de Dieu, recevons la grâce qui nous est donnée ! » 

Le Christ souhaite s’unir les cœurs humains, et non le pain et le vin. « Je préside un mystérieux repas, écrivait saint Grégoire le Théologien, je purifie les hommes que je T’apporte en présent grâce à des enseignements non sanglants et parfaits. ». « Le prêtre ne prie pas pour que le feu descende du ciel et enflamme les dons, mais pour que la Grâce, en descendant sur l’offrande, enflamme par elle tous les cœurs », écrit saint Jean Chrysostome à propos de la Liturgie. Ainsi le sacrement est-il destiné à changer les hommes. Ceux-ci sont appelés à devenir offrande à Dieu. « Fais de nous des hommes vivants, donne-nous l’Esprit Saint » s’exclame au milieu du IVe siècle Sérapion dans son anaphore.

Ce changement est inhabituel dans le sens où ce ne sont pas les hommes qui assimilent les fruits du Sacrement, mais le Sacrement qui s’assimile les hommes.

Au cours d’un repas ordinaire les fruits consommés par les convives se transforment en corps humain. Au cours du repas eucharistique, l’homme doit devenir lui-même ce qu’il mange. En mangeant le corps du Christ, l’homme doit transformer son corps en Corps du Christ.

Ainsi, selon l’expérience de saint Maxime le Confesseur, le moment central de la Liturgie est « la conversion des communiants en Christ ». « Ceux qui communient dignement au sacrement sont transfigurés par Lui jusqu’à Lui ressembler ». Le Christ transforme les fidèles en Lui.

Nous retrouvons la même idée chez saint Augustin, qui met sur les lèvres du Christ une explication de la Liturgie : « Je suis ta nourriture, mais ce n’est pas Moi qui Me transforme en toi, c’est Toi qui te transforme en Moi […] Devenez ce que vous voyez et recevez ce que vous êtes. » Au crépuscule de Byzance, les théologiens ne disaient pas autre chose : « L’Église vit des Saints Mystères […]. Pour l’Église, ils sont la véritable nourriture et la vraie boisson. En communiant aux Saints Mystères, elle ne les assimile pas au corps humain, comme elle le ferait de toute autre nourriture, mais elle s’assimile à eux. De la même façon, le fer passé au feu devient feu, sans que le feu devienne fer » (saint Nicolas Cabasilas).

Par le pain béni, les hommes deviennent Christ et forment ensemble l’Église. « Les plus parfaits composent le visage et le corps de l’Église. Les meilleurs […] deviennent Église », disait saint Méthode d’Olympe.

Et c’est bien ce qui manque aujourd’hui à la perception ordinaire de la Liturgie, qui est pourtant le point de départ de l’Église. L’Église n’est pas l’évènement au cours duquel je reçois la sanctification à titre individuel et la rémission de mes péchés personnels. La Liturgie est l’évènement qui fait de moi un chrétien, qui m’attache à l’Église. C’est l’évènement par lequel l’Église se maintient en vie.

Ces quelques témoignages de la littérature paléochrétienne nous le rappellent :

« De même que ce pain rompu était dispersé sur les collines et que, rassemblé, il est devenu un, qu’ainsi soit rassemblée ton Église des extrémités de la terre dans Ton Royaume. »

Ensuite, le prêtre prie pour que la grâce de l’Esprit Saint descende sur l’assemblée, afin qu’unis en un seul corps par le symbole de la renaissance ils soient désormais un seul corps par la communion au Corps de notre Seigneur, afin qu’ils demeurent dans l’unité, liés entre eux par les liens de la concorde, de la paix et du zèle pour le service.

Dans la Liturgie, nous rejoignons l’Église. L’Église prie de la même façon pour les pécheurs que pour les catéchumènes : « Réconcilie-les et unis-les à Ta sainte Église ». Le péché nous sépare de l’Église, la communion nous donne la « rémission des péchés » et signe notre retour à l’existence ecclésiale.

André Kuraev

Extrait de l’ouvrage : Après le chant des Chérubins, éditions Sofia, 2012

André Kuraev est protodiacre de Église orthodoxe de Russie, théologien, philosophe et missionnaire. Il a publié de nombreux articles, manuels et ouvrages de théologie, traduits en plusieurs langues.    

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