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Liberté de choix et science-fiction: l’ange de la quête de Vladimir Volkoff

Photo : Pixabay

Pour ouvrir l’esprit de l’homme vers une compréhension de choses qui le dépassent, il y a la voie de l’image, de l’histoire, de la parabole, souvent employés par les Écritures et à leur suite la théologie et les hymnes liturgiques. Cette voie, la littérature de date plus récente la suit, elle aussi : elle peut servir de véhicule pour exprimer des vérités essentielles.

« La S. F. (science-fiction), l’espionnage, le fantastique sont trois procédés qui permettent de prendre conscience que le monde n’est pas vraiment ce qu’il paraît, qu’il peut brusquement se transformer » disait Vladimir Volkoff, cité dans L’exil est ma patrie, livre d’entretiens écrit par Jacqueline Bruller. Vladimir Volkoff, né en 1932 et mort en 2005, est issu de l’émigration russe due à la révolution bolchevique: traducteur, officier de renseignement des services secrets français, auteur de romans et d’essais, son œuvre est profondément marquée par sa foi orthodoxe. La science-fiction, l’espionnage et le fantastique sont les trois genres dans lesquels il excelle ; ces genres lui permettent de mettre en pratique son idée d’aider le lecteur à voir le monde au-delà des apparences. Ses écrits, en plus d’être remplis de suspense, abondent d’idées et d’images théologiques. Je vais m’arrêter ici à l’un de ses écrits de science-fiction (attention ! Je révélerai ici l’ensemble de l’intrigue de ce récit).

Résumé de « L’Ange de la quête »

Dans « L’ange de la quête », une des histoires du recueil Chroniques angéliques (1997), un ange est envoyé pour chercher une jeune fille qui accepterait d’accoucher de Dieu dans le monde. La quête est en même temps une enquête qui poursuit ses recherches sur une liste des virtuelles futures mères de Dieu. Il a, pour choisir, « toutes les planètes, tous les astres, tous les univers créés et non créés, actuels ou virtuels, réels ou potentiels, toutes les histoires déroulées et celles qui auraient pu se dérouler autrement. » Il part donc pour trouver la future Mère de Dieu, et visite l’une après l’autre plusieurs jeunes filles vivant à différentes époques, en fait, dans des mondes parallèles aux nôtres.

Volkoff s’amuse à inventer des « uchronies », c’est-à-dire des histoires alternatives qui reflètent notre monde comme il aurait pu être si Dieu ne s’était pas incarné il y a un peu plus de 2000 ans.

Or à chaque fois, les jeunes filles refusent pour des raisons diverses. La première est une jeune fille anglaise de famille noble vivant dans une Angleterre d’un XXe siècle parallèle au nôtre, sans le christianisme, à la place duquel on trouve une mythologie nordique, et par une forme de philosophie déiste. La deuxième, une jeune servante de château d’un XVIIIe siècle parallèle, refuse de devenir mère de Dieu parce qu’elle aimait un homme avec qui elle voulait se marier et vivre une vie de femme sans plus de distinction. La troisième est une jeune fille de la petite noblesse russe du début du XXe siècle, dans une Russie menacée par une révolution bolchevique parallèle. Elle refuse par une sorte de modestie, ne pouvant pas se voir dans un rôle si élevé.

« De celles qui pouvaient, aucune ne voulait… ». L’ange doit donc continuer sa recherche : cela finit par le choix de Marie et l’établissement du monde que nous connaissons.

Illustrer par la littérature la liberté de choix

Le sujet principal de cette histoire est le choix libre de Marie. Par le choix des autres jeunes filles, de répondre « non » à la demande de l’ange, le choix de Marie est mis plus clairement en évidence. La liberté de son choix est une affirmation théologique : l’Incarnation n’aurait pas été possible sans le « oui » pleinement conscient et donné librement de celle qui allait enfanter Dieu. Ce choix est représenté ici dans le reflet de trois autres choix possibles, par le biais du thème science-fiction de réalités alternatives (uchronies), l’un des thèmes de prédilection de la fiction fantastique. Cela n’est pas un hasard, car ce thème se prête très bien à l’expression du paradoxe entre la liberté de choix et le plan éternel de Dieu. Dans les histoires de science-fiction utilisant la thématique des réalités alternatives et du voyage temporel, l’importance du choix et le paradoxe entre le destin (ou même la providence dans un sens religieux) et la liberté de choix sont souvent un des thèmes principaux – et cela, de plusieurs manières.

Par exemple, dans le roman La fin de l’éternité (The End of Eternity) d’Isaac Asimov, des hommes vivant hors du temps (« des éternels ») interviennent sans cesse pour changer, dans le but d’optimiser, des événements clé, enlevant ainsi à l’humanité la liberté de choix pour donner forme à l’Histoire. Ainsi, une longue série de réalités alternatives se succèdent, effaçant toute trace des événements et des personnes « indésirables » du point de vue des éternels. Alors que, nous dit la théologie chrétienne, Dieu lui même ne s’abroge pas ce droit d’intervention, mais laisse l’humanité faire ses choix, même ceux qui s’avèrent catastrophiques. Dans ce roman, il fallait que l’humanité poursuive la voie de la liberté, semée de difficultés, pour qu’un jour elle conquière l’espace, « atteigne les étoiles ». Ainsi, les protagonistes, qui s’en rendent compte, sont chargés d’anéantir la réalité des « éternels » et ne plus permettre qu’une seule réalité, menée par les choix des hommes.

Dans une autre histoire, L’angoisse est le vertige de la liberté, de Ted Chiang, un appareil fondé sur certaines découvertes de la physique quantique offre la possibilité de connaître les mondes alternatifs issus de tous les autres choix possibles dans la vie de chaque homme, choix qui semblent mener à une infinité des réalités parallèles. Mais on apprend que tout n’est pas toujours indistinctement possible, parce que les choix correspondent finalement à la structure essentielle et profonde de chaque personne. On peut comprendre cette structure comme une prédétermination (puisqu’il y a des choix que certaines personnes ne feront jamais, ou certains choix des autres autour d’eux ne changeraient pas essentiellement leur vie), mais aussi comme l’expression d’une volonté libre, reflet du plus profond du cœur de l’homme – la théologie dirait : une volonté libre donnée à chaque homme lors de sa création à l’image de Dieu.

L’interprétation patristique du chapitre 3 de la Genèse fait d’ailleurs également usage d’un narratif sur un plan de Dieu qu’on pourrait appeler « alternatif ». Même s’il ‘est difficile d’exprimer cela sans placer Dieu dans le temps, Dieu a pris en compte le choix libre de l’humanité : d’obéir au premier commandement et de continuer le chemin de « l’image » vers la « ressemblance » (Gn 1,26), ou bien de suivre la voie du « serpent », et désobéir pour « devenir comme des dieux » (Gn 3, 5). Cela rejoint aussi le thème biblique des « deux voies », de la vie ou de la mort, mentionné par exemple dans Dt. 30,15-20. Nous connaissons la suite, mais une « histoire alternative » où l’humanité aurait suivi le commandement de Dieu était aussi possible. Un autre écrivain d’inspiration chrétienne, C.S. Lewis, exploite cette autre histoire possible dans son roman Perelandra.

En conclusion, on peut donc constater que V. Volkoff, en utilisant un schéma narratif et une idée de science-fiction, aide le lecteur à mieux saisir un élément de l’enseignement chrétien : le choix libre de Marie.

Docteur en linguistique, Alexandra de Moffarts est enseignante de religion dans les écoles, en Belgique, ainsi qu’à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Jean (Bruxelles).

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