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Les grandes étapes historiques de l’hymnographie dans les offices (2)

Pupitre de chantre (Nice). Photo : Victor Agassant

Cet article poursuit la présentation des grandes étapes de création des hymnes liturgiques, dont la première partie peut être lue ici.

Jusqu’au 13e siècle, l’emploi que l’on faisait des stichères différait tout à fait de l’usage actuel. Les strophes étaient contenues dans des hymnaires, recueils qui les classaient par catégories : recueil de stichères, recueil de tropaires, recueil de kondakia, recueil de théotokia… Le chantre puisait librement dans ces recueils pour « composer » l’office, en tenant compte, bien sûr, du jour de la célébration. Lors d’une communication à l’institut de théologie Saint-Serge en 2006, le père Job Getcha a précisé que « c’est entre les 13e et 15e siècles que vont se former des livres indiquant non plus ce que l’on peut chanter, mais ce que l’on doit chanter. De même subsistent de nombreuses variantes selon les régions ».

La même évolution est observable pour l’ordonnancement des offices. Avant le 11e siècle les indications liturgiques figuraient sous forme rudimentaire dans des règles monastiques. Ce n’est qu’au début du 11e siècle qu’apparaissent les typika (= coutumiers) liturgiques. Leur objectif premier est de régler l’articulation entre les différents cycles liturgiques. Mais là encore il faudra attendre le 15e siècle pour aboutir à un ordo unifié pour la tradition liturgique byzantine.

Entre décadence oratoire et réforme hésychaste, l’hymnographie entre le 11e et le 15e siècle

Pour en revenir à l’hymnographie, à partir du 11e siècle on assiste à une décadence progressive jusqu’à la prise de Constantinople au milieu du 15e siècle. À ce sujet lʼarchevêque Georges (Wagner) écrit :

« Le matériel hymnographique pousse […] autour du matériel biblique comme le lierre autour d’un arbre. Et, dans l’évolution historique ultérieure, on devra même parfois prendre garde que le lierre ne prenne plus de poids que les branches de l’arbre elles-mêmes. »

archevêque Georges (Wagner)

En effet, la rhétorique séculière tend à prendre le pas sur la joyeuse simplicité de la louange ou la densité de l’exposé dogmatique. Pour s’en rendre compte, il suffit de relire l’office à saint Grégoire Palamas, qui a pourtant été écrit par son contemporain, ami et défenseur de sa pensée, le patriarche Philothée (le même qui donna une impulsion pour l’unification de l’ordo). Le premier stichère du lucernaire commence ainsi : « De quels chants dithyrambiques louerons-nous le hiérarque : trompette de la théologie, lèvres enflammées de l’esprit de la Grâce, vénérable réceptacle de l’Esprit, colonne inébranlable de l’Église, parure magnifique du monde… » (traduction littérale). Si les contemporains de saint Grégoire Palamas, qui connaissaient bien sa personne et son œuvre, pouvaient se contenter de telles couronnes de fleurs verbales, il est évident que l’homme du 21e siècle reste sur sa faim.

Mais si au 14e siècle, nous assistons dans l’hymnographie à de tels débordements oratoires, apparaît également, avec le mouvement hésychaste, une réforme dans la célébration liturgique. Les offices deviennent plus sobres et l’usage du Psautier qui avait presque complètement disparu de l’office « cathédrale », reprend de l’importance. Il faut également préciser que la remarque de lʼarchevêque Georges (Wagner) ne concerne qu’une partie du sanctoral (office des saints). À quelques exceptions près, l’hymnographie des dimanches (jour où l’on commémore la Résurrection), des grandes fêtes, des offices de Carême, de Pâques et de la période qui suit, jusqu’à la Pentecôte comprise, sont d’une grande tenue.

Le contenu des hymnes liturgiques : louange et catéchèse vivante

Dans l’hymnographie la première place est donnée à la louange : louange de Dieu pour la création et pour son œuvre de salut à notre égard, louange de la Mère de Dieu et des saints qui nous montrent la voie vers le Christ et qui sont porteurs de l’Esprit Saint. Une place importante est donnée au contenu théologique dans les hymnes des fêtes majeures et du dimanche, ainsi que pendant la Semaine sainte. Certaines hymnes ont aussi un caractère narratif, elles illustrent des épisodes de l’Évangile. Cela est particulièrement évident lors de la Semaine Sainte, mais aussi dans le récit de certains épisodes de la vie des saints. Enfin, l’élément pénitentiel est très présent pendant le Grand Carême et dans l’Octoèque, en semaine. On trouve donc dans nos offices un cycle catéchétique complet.

L’importance catéchétique de l’hymnographie nous suggère que nous avons un travail considérable à faire pour expliquer le sens des offices, le sens des strophes chantées, le sens des psaumes aussi, pour donner aux fidèles l’envie de venir à l’église les écouter et de les lire chez eux (Il est relativement rare que, dans son homélie, un prêtre cite le texte d’un stichère ou d’un tropaire, et encore plus rare qu’il le commente). L’original de la plupart des textes étant en grec liturgique, le traducteur a pour tâche de les rendre non seulement avec fidélité, mais aussi en veillant à ce que les traductions respectent le génie propre de la langue française, quitte à utiliser parfois d’autres images. La fidélité doit se comprendre plus à l’esprit qu’à la lettre.

Si dans les monastères on célèbre les offices plus ou moins in extenso, dans la vie de paroisse il faut faire preuve de discernement. L’exemple des dix premiers siècles nous montre que l’on peut disposer d’une certaine souplesse dans l’utilisation des textes. Nous en avons suffisamment à notre disposition pour utiliser les meilleurs.

Quelques réflexions sur la poursuivre la création hymnographique aujourd’hui

Aujourd’hui le processus de création liturgique ne s’est pas arrêté. Des saints nouveaux sont canonisés. De nombreux saints occidentaux n’ont pas d’office composé pour les célébrer et nous permettre de méditer leur exemple. Nos évêques se préoccupent de la question, mais il est important de veiller à ce que la création ne soit pas anarchique ni pléthorique. Malheureusement les nouveaux offices restent souvent tributaires du style ampoulé de la Byzance des 13e-15e siècles, bourrés de rhétorique, ce qui donne à l’homme contemporain le sentiment de quelque chose de conventionnel. C’est le cas, par exemple, de l’office à saint Nectaire d’Égine, qui est pourtant un des plus grands modèles d’humilité et de simplicité de notre temps. Il est important que les nouveaux offices présentent la vie des saints comme des exemples vivants et non comme des modèles abstraits (il a jeûné, il a prié, il s’est mortifié, il a reçu la couronne…). Quand nous glorifions le Christ, nous n’omettons pas de dire qu’il est venu à Jérusalem, qu’il a été jugé sous Ponce Pilate, que les femmes myrophores sont venues à son tombeau… Pourquoi les hymnes aux saints devraient-elles les présenter hors de l’espace et du temps, hors des faits qu’ils ont réellement vécus ? Il y a fort heureusement des exceptions, comme l’office au saint martyr Théodore Tiron, le premier samedi du grand carême, ou l’office à saint Silouane de l’Athos (du moins l’un des offices).

Nous reconnaissons que le centre de notre liturgie est l’eucharistie et que c’est à travers elle que nous approchons du Christ au plus intime. Mais, si nous voulons que cette rencontre ne soit pas pour nous éphémère, il faut préparer nos cœurs, les ouvrir au mystère de la présence de Dieu. À cela contribuent les lectures, les psaumes, l’homélie, mais aussi les hymnes, d’où l’importance dʼune présence active aux offices qui préparent au temps de l’eucharistie. D’où l’importance aussi pour la chorale de préparer le chant, afin qu’il soit harmonieux et que les paroles des textes chantés soient comprises par les fidèles.

Élie Korotkoff

Élie Korotkoff, laïc orthodoxe, spécialiste des questions liturgiques, est responsable de la Commission des traductions liturgiques de la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale.

Source : Article original paru en 2009 dans le Service Orthodoxe de Presse, modifié pour les Chroniques du Sycomore avec l’autorisation de l’auteur.

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