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Les grandes étapes historiques de l’hymnographie dans les offices (1)

Pupitre de chantre (Nice). Photo : Victor Agassant

L’hymnographie byzantine occupe une partie importante de nos offices quotidiens, surtout aux vêpres et aux matines. On y trouve une véritable catéchèse et certains canons des matines empruntent des éléments aux homélies de quelques Pères de l’Église. L’élaboration de tous ces textes s’est faite pour l’essentiel sur plus de dix siècles. Parfois des créations nouvelles sont venues remplacer d’autres plus anciennes que l’on ne trouve plus que dans des manuscrits. Aujourd’hui encore le processus de création se poursuit : on compose des offices pour les nouveaux saints, mais aussi pour des saints occidentaux qui nous sont communs avec les catholiques, comme saint Martin de Tours.

Quelques exemples d’hymnes issues de la Bible et des premiers chrétiens

L’Ancien Testament contient un certain nombre de cantiques. Certains, comme le cantique des adolescents dans la fournaise, sont encore utilisés dans nos offices. Le Nouveau Testament nous a donné le cantique de Zacharie, le Benedictus, et celui de Marie, le Magnificat. Pensons aussi aux éléments que nous trouvons dans les Épîtres, comme ce texte cité par saint Paul dans l’Épître aux Éphésiens (5,14) : « Éveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et sur toi le Christ resplendira ». Théodoret, évêque de Cyr (432-457), nous apprend que plusieurs de ses devanciers considéraient ce passage comme un fragment d’une hymne baptismale.

Certaines de ces hymnes que chantaient les premiers chrétiens se sont conservées jusqu’à aujourd’hui dans notre liturgie. C’es le cas de l’hymne « Lumière joyeuse » que saint Basile attribue au saint martyr Athénogène (fin du 2e, début du 3e siècle), ou encore du Gloria qui forme aujourd’hui la première partie de la grande et de la petite doxologie lors de l’office des Matines.

Naissance des premiers chants chrétiens en Syrie au 4e siècle

Au 4e siècle, au moment où les moines se retiraient dans les déserts pour conserver la pureté du message évangélique, ils étaient loin d’être tous favorables à l’apparition de compositions nouvelles. Leurs offices étaient composés essentiellement du chant ou de la lecture des psaumes. « Malheur à nous, prophétisait l’abbé Pambo, car il viendra un jour où les moines abandonneront la nourriture solide fournie par l’Esprit Saint, pour s’attacher aux chants ornés et aux modes musicaux… » Mais les moines ne furent pas tous réticents, et ne condamnèrent pas cette pratique en dehors des monastères.

C’est en Syrie que se développent tout d’abord deux types de chants, sans que tous les auteurs soient d’accord pour savoir lequel est apparu en premier. Dans le premier type, deux chœurs chantent alternativement les versets des psaumes. Dans le second, chaque verset du psaume est suivi d’un refrain pris au même psaume ou dans un autre passage de la Bible. Parfois encore le refrain est une composition libre. Ainsi, lorsque aujourd’hui nous chantons les antiennes de la Divine Liturgie avec, entre des versets psalmiques, des refrains comme : « Par les prières de la Mère de Dieu, ô Sauveur, sauve-nous », nous avons gardé ce type de chant. Par la suite les strophes intercalées entre les versets des psaumes se développèrent, et ceci au détriment du psaume lui-même dont on ne garda que quelques versets (c’est le cas des prokimena par exemple).

Pour le monde byzantin, c’est tout d’abord à Jérusalem que s’est développée l’hymnographie, comme en témoigne Égérie qui y a séjourné selon toute vraisemblance en 384, Jérusalem étant proche de la sphère culturelle syriaque. Depuis que sainte Hélène avait fait construire des basiliques sur les principaux lieux de vie du Christ, l’usage s’était instauré de se rendre en procession sur ces lieux : un chantre entonnait les versets d’un psaume et le peuple chantait une strophe brève, facilement mémorisable, répétée après chaque verset. Cependant, comme le soulignait lʼarchevêque Georges (Wagner), cette hymnographie restait toujours liée au matériel biblique.

Premier développement des hymnes à Byzance entre le 5e et 6e siècle

Ces développements de l’hymnographie se diffusèrent à Byzance chez les orthodoxes (il ne faut pas oublier qu’à l’époque Jérusalem faisait partie de l’empire byzantin), mais également chez les ariens. Dans ce domaine, ces derniers furent plus entreprenants que les premiers. Ils organisaient des processions à travers Constantinople en chantant des hymnes dans lesquelles ils développaient leur théologie. Ils se réunissaient autour des églises qui leur avaient été enlevées par l’empereur Théodose et introduisaient dans leurs chants des paroles injurieuses à l’égard de ceux qui étaient restés fidèles aux décisions du concile de Nicée. Ainsi, dans une antienne, ils disaient : « Où sont-ils, ceux qui disent que trois ne sont qu’une même puissance ? » C’est alors que saint Jean Chrysostome, qui avait d’abord exercé son ministère pastoral à Antioche en Syrie, proposa de chanter à la vigile des chants pieux et organisa des processions somptueuses à travers la ville impériale. Ainsi apparurent des strophes au contenu plus développé que les simples refrains. Elles abandonnaient leur caractère laudatif pour adopter un contenu plus théologique. En Occident, saint Ambroise introduisit la même pratique à Milan.

Avec Saint Romain le Mélode, dont les manuscrits ont conservé de nombreuses œuvres écrites dans la première moitié du 6e siècle, nous assistons à l’instauration de véritables « homélies en vers ». Celles-ci ont reçu par la suite le nom de kondakion, mais on ne connaît pas l’origine véritable de ce type d’hymnographie. Leur emploi à Byzance nécessitait de raccourcir le nombre des lectures psalmiques. Puis progressivement, les kontakia furent remplacés par le canon des matines. Le seul qui se soit conservé dans nos offices est l’hymne acathiste à la Mère de Dieu. Composé pour la fête de l’Annonciation, il a été par la suite déplacé aux matines du samedi de la 5 semaine du grand carême qui précède Pâques.

Composition des principaux canons et stichères entre le 6e et 9e siècle

C’est saint André de Crète (660-740) qui est considéré comme le père du canon à neuf odes, tel que nous le connaissons actuellement dans l’offices des Matines. Son œuvre la plus connue est le grand canon pénitentiel chanté en quatre parties aux grandes complies des quatre premiers jours du Grand Carême et en une seule fois aux matines du jeudi de la 5e semaine du Grand Carême. Auparavant, en dehors des psaumes, les moines utilisaient des cantiques bibliques, selon un nombre variable. Nous en trouvons encore la trace dans les cantiques qui servent de thème à chacune de nos odes comme la prière de Moïse après la traversée de la Mer Rouge (1re ode), celle de Jonas dans le ventre du monstre marin (6e ode), le cantique des trois adolescents dans la fournaise (7e et 8e ode) et, pour le Nouveau Testament, la prière de Zacharie et le Magnificat, seul cantique chanté pratiquement à chaque office de matines (9e ode).

Saint André a séjourné à Constantinople à la suite du 7e concile, et il y aurait introduit les usages liturgiques de Jérusalem, plus précisément ceux du monastère de saint Sabas. Parmi ses successeurs, nous retiendrons saint Jean Damascène (8e siècle), ainsi que son compagnon Côme de Maïouma, à qui sont attribués le canon du Vendredi saint, le canon du Samedi saint à partir de la 6e ode, l’un des deux canons de la Nativité et de nombreux autres. Nous savons également que de nombreux canons et des stichères sont attribués à Saint Jean Damascène, soit sous le titre de « le moine Jean », soit de « Jean Damascène ». LʼOctoèque (recueil contenant les huit tons liturgiques chantés en alternance à l’église durant l’année) lui est également attribué, bien que nous sachions aujourd’hui que certaines des strophes qu’il contient, en particulier pour l’office du dimanche, sont antérieures et remontent à la liturgie de Jérusalem des 4e-5e siècles.

Enfin, une nouvelle vague de création a lieu à Constantinople, au monastère du Stoudion, avec Théodore le Studite (759-826). Son frère Joseph et lui-même sont les auteurs de nombreux textes pour le Carême qui se trouvent aujourd’hui dans le Triode. Ces productions sont venues parfois éclipser dʼautres strophes qui étaient alors en usage.

Élie Korotkoff

Élie Korotkoff, laïc orthodoxe, spécialiste des questions liturgiques, est responsable de la Commission des traductions liturgiques de la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale.

Source : Article original paru en 2009 dans le Service Orthodoxe de Presse, modifié pour les Chroniques du Sycomore avec l’autorisation de l’auteur.

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