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Le Carême, un jeûne béni

Croix - cimetière de Caucade (Nice). Photo : Xénia Cr.

Bientôt, nous commencerons à jeûner, en préparation à la glorieuse fête de Pâques. Lʼhomme a tendance à retenir du carême surtout lʼabstinence de nourriture et de boisson, tandis quʼil est dit : « Le Royaume de Dieu nʼest ni boisson, ni nourriture » (Rm 14,17). Se priver dʼaliments est le moindre des efforts requis durant le carême. En fait, il nʼest quʼun symbole pour nous rappeler la pauvreté et pour signifier que, sans abstinence, personne ne peut devenir un apôtre, ni sʼouvrir à lʼamour, voire pour nous rappeler que lʼhomme est tiré de la poussière. Je trouve très beau le rite qui a lieu dans lʼÉglise maronite [comme dans lʼÉglise catholique de rite latin], le premier jour du carême, de tracer avec de la cendre une croix sur le front des fidèles, pour leur rappeler quʼils ne sont rien, sʼils ne sʼassimilent à la terre. Belle, aussi, lʼhabitude quʼavaient les fidèles de mon Église [au Liban], il y a encore soixante-dix ans, de jeûner, chaque jour du carême, jusque après la célébration des vêpres, et donc de ne manger quʼune seule fois par jour.

Toutefois, la réalité du carême nʼest point dans lʼabstinence de nourriture. Elle consiste en notre attitude envers nous-mêmes, envers notre âme. Où en sommes-nous de cette réalité-là ? Quelle place lui donnons-nous dans notre existence ? Comment entrer en contact avec ce Dieu qui fait sa demeure en nous ? Ayant pris conscience de sa présence, que faisons-nous pour lʼatteindre ? Et, lʼayant rejoint, comment nous préparer à continuer le chemin avec lui, ou plutôt en lui ? À moins de réaliser cette présence, de se laisser aller à la jubilation à cause de cette découverte, et même de tourbillonner autour dʼelle tels des derviches tourneurs, le jeûne nʼaura aucun effet sur nous. Il aura été une occasion ratée dʼintensifier la présence de Dieu dans notre âme.

Cette rencontre avec Dieu ne peut se produire que dans la joie, car il est dit dans les Écritures : « Quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père, qui est là, dans le secret, et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra ouvertement » (Mt 6, 17-18). Nous devenons des fils dans la mesure où nous avons vraiment faim de notre Père. Ou, en des termes plus spécifiquement chrétiens, dans la mesure où nous mangeons le Corps du Fils de Dieu. Nous unissant ainsi à lui, Il nous fait monter vers Lui, ou plutôt, Il descend vers nous. Entre nous et le ciel se dresse alors comme une échelle, sur laquelle le Fils de lʼhomme monte et descend. Nous pourrons Le rejoindre en travaillant activement à dompter notre âme. Quant à Lui, Il nous rejoint quand il Lui plaît, quand Il « languit » vers nous, ou quand Il nous voit lutter, dans lʼeffort, mais toujours dans lʼamour. Celui qui nʼexerce pas un tel combat, nʼaura pas accès à des visions qui lui auraient ouvert dʼamples perspectives et lʼauraient interpellé.

Bien que nous adressions notre jeûne à Dieu, car Lui seul est notre véritable vis-à-vis, le préambule de la péricope évangélique que nous lisons le dimanche du Pardon [qui précède le premier jour du carême préparant à Pâques] nous dit: « Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais, si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas » (Mt 6, 14). Cʼest vrai que nous ne jeûnons pas pour les autres humains, mais nous devons jeûner avec eux. Nous sommes appelés à les assumer et à leur pardonner. Le pardon effacera leurs péchés à nos yeux. Ne pas leur faire une place dans notre cœur signifie nécessairement que Dieu ne sʼy trouve pas. Débarrasser notre cœur de toute animosité est une condition pour que Dieu continue dʼhabiter en nous.

Le soir du dimanche du Pardon, nous célébrons le rite du pardon. À la fin des vêpres, chacun des participants sʼagenouillera devant chacun des autres, disant : « Frère, pardonne-moi, moi qui suis pécheur. » Puis, une fois debout, ils se donneront le baiser de paix. Cʼest alors, et alors seulement, que nous serons prêts à entrer dans le carême. Le jeûne ne nous fera pas gagner une quelconque pureté, du simple fait de nous y astreindre. En fait, il ne fera que nous rappeler la pureté avec laquelle nous lʼavions abordé.

Le carême est un exercice à double sens. Le manque de nourriture est compensé par un surcroît de prière et de lecture de la Parole. Il ne consiste pas en un simple régime alimentaire. Frayer avec le Seigneur est le seul régime qui puisse en vérité nous protéger et nous fortifier. Essayons donc dʼaller tous les jours à lʼéglise, au moins le soir, pour comprendre le sens de la repentance et nous libérer de lʼattrait du pouvoir et des paroles oiseuses. Et, comme le rappelle Éphrem le Syrien, pour acquérir « lʼesprit de chasteté, dʼhumilité, de patience et de charité ». Lʼhumilité est le pivot de toutes ces demandes. Par elle, nous apprenons à ne pas nous donner de lʼimportance, afin que Dieu, qui nous a fait sortir du néant à lʼexistence, devienne tout à nos yeux. Il nous faut être capables de dire, comme nous le faisons dans la prière avant la communion : « Le Christ Jésus est venu pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. »

Métropolite Georges Khodr

Mgr Georges Khodr, né en 1923, évêque émérite du Mont-Liban, est une voix majeure du christianisme au Moyen-Orient. Théologien renommé, engagé dans la vie de son pays, il fut l’un des fondateurs du Mouvement de Jeunesse Orthodoxe (MJO) au Liban.

Source : extrait d’un texte paru dans le Service Orthodoxe de Presse n°337 en avril 2009, dont l’intégralité est disponible ici.

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