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Jeûne, confession et metanoïa (1)

Photo : orthophoto

On peut lire ou entendre aisément, non seulement dans des littératures profanes, mais aussi spirituelles : « le jeûne et la confession : pourquoi faire ? » sous-entendu : « cela ne sert à rien ». Nos frères de la Réforme sont de ceux qui ont tout simplement éliminé la confession et parfois même le jeûne. Il y a là un courant qui s’est développé dans une certaine culture, par rapport à une évolution de la pensée théologique et de l’anthropologie de manière générale. Je crois qu’il convient de rappeler pourquoi le jeûne et la confession sont un support de la metanoïa, du repentir.

Ce « pourquoi », c’est un présupposé de notre foi ; point important à préciser dans le contexte culturel où la science et le scientisme tiennent une place centrale et où sont reposées des questions certes récurrentes mais qui sont réactivées et éclairées par cette culture : « d’où vient la vie ? d’où vient le monde ? et toujours d’où vient l’homme ? » etc. Qu’on le veuille ou non, il n’y a de réponse qu’axiomatique et il n’y a que deux hypothèses : Dieu créateur ou une mécanique plus ou moins intelligente, plus ou moins logique, peu importe… Pour ce qui nous concerne, l’axiome est clair, ne se prête à ce stade à aucune nuance ou relativisation et se décline en deux temps. Premier temps, nous sommes les enfants du Dieu de la Genèse, du Dieu Créateur. Tout n’est que Création de Dieu, « Je crois en un seul Dieu, Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre et de toutes choses visibles et invisibles » et l’homme n’est lui-même qu’une créature placée au sommet de cette Création et rendu co-responsable de la Création. Deuxième temps : cette Création du fait de l’homme, chute c’est-à-dire s’émancipe, s’autodétermine ; l’homme entraîne la création dans la « corruption ».

Cette chute consiste en ce que Dieu, qui nous a offert la co-responsabilité de la Création, nous a laissés libres de la gérer, soit en offrande et en action de grâce avec Lui et pour Lui, soit de se l’approprier. Le verset : « Vous serez comme des dieux », séduction, tentation orgueilleuse est le point de départ de la chute. Il suggère : « Regardez comme tout cela est bon et beau », ce que Dieu dit Lui-même. Mais le Tentateur ajoute : « Regarde comme c’est bon : prends-le ».

L’homme a été placé dans une situation de liberté qui lui a permis de s’imaginer qu’il allait pouvoir s’auto déterminer et s’auto contrôler, vivre par lui-même, pour lui-même.   

La première conséquence est la séparation d’avec Dieu qui va entraîner la séparation, et tous ses dérivés – division, dislocation, dispute…- de l’homme par rapport à Dieu et à toute la Création et ses composants. L’autre nom du Tentateur est le Diable, diabolos – « diviseur », par opposition à symbolos qui « unit ». L’exercice egocentrique de la liberté a conduit l’homme, le genre humain, à la séparation. 

On peut examiner les deux niveaux de cette séparation-dislocation : le premier est la séparation d’avec Dieu qui va conduire à la mort. Le second est celui de la séparation des uns par rapport aux autres et par rapport à l’environnement. 

Il n’est pas inutile de préciser ici quelques points. Première question : de quelle mort s’agit-il, physique, spirituelle ? Il s’agit de toute mort. Car, selon notre foi, la mort physique ne fait pas partie de la Création. Lorsque nous proclamons que le Christ est « vainqueur de la mort », nous affirmons qu’Il est vainqueur de toute mort, car toute mort, ontologiquement est une conséquence de l’autodétermination, de la corruption. La mort est cette séparation ultime, source d’angoisse, de toute angoisse, de toute crainte, de toute appréhension (La psychanalyse moderne ne fait que rejoindre, ici, ou redécouvrir la spiritualité fondamentale). L’angoisse est à son tour source de toute tension et de toute agression. La mort apparaît donc dans la Création du fait de la séparation, de la chute, de la révolte. Comme le rappelle, entre autres, le canon eucharistique de saint Basile : « par la faute d’un seul, la mort est entrée dans le monde ». Mais à la différence de l’approche occidentale, la patristique byzantine suggère que cette mort devient elle-même cause du péché dans la mesure où l’angoisse de la mort conduit au péché lui-même.

Ici se pose la question de l’hérédité adamique : de quoi chacun de nous est-il personnellement l’héritier ? Héritons-nous de la responsabilité de la chute, ou de sa conséquence ? Sans accentuer exagérément les différences spirituelles sur ce point entre Orient et Occident chrétiens, il est nécessaire de préciser que contrairement à la grande tradition augustinienne qui suggère que nous héritons de la cause et de la responsabilité de la chute, la tradition orthodoxe affirme que nous n’héritons que de la conséquence de la chute, du péché, c’est-à-dire de la mort.

 La nuance n’est pas négligeable car va rejaillir partiellement sur la perception du péché, de sa nature et de son « traitement » ou de sa guérison. S’insère ici la notion de culpabilité. La pensée byzantine n’a pas généré le principe de la culpabilité de la chute. La question du péché et du repentir sera donc traitée différemment en Orient et en Occident. Le péché en Orient, c’est l’essence, c’est la condition initiale de chacun. L’Occident, quant à lui, privilégie l’extériorisation, l’acte pour lui-même. Ainsi va-t-il développer le principe d’expiation quasi mathématique – un certain nombre de prières pour un acte donné – lorsque l’Orient va concentrer toute sa démarche sur la prise de conscience de la nature humaine « corrompue » : « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi, pécheur (c’est-à-dire de ma nature pécheresse) ».

L’autre grande séparation est celle de l’homme par rapport à son environnement, c’est-à-dire toutes les dislocations dans l’ordre relationnel, humain d’abord mais aussi écologique. À partir de la chute, l’homme ne sait plus être en relation ni avec la Création, ni avec le frère, la sœur, la femme ou l’homme. Il ne sait plus être en communion. La chute, c’est aussi la rupture de communion. Comme le suggère le livre de la Genèse : la première conséquence est l’affrontement entre l’homme et la femme. Toutes les cultures connaissent cet affrontement entre masculin et féminin, que l’on mettra beaucoup plus tard sur le compte d’une série d’infrastructures et d’explications sociologiques. Partons de notre axiome : Ève rejette la responsabilité sur l’homme et l’homme sur Dieu (« C’est Toi qui l’as mise à côté de moi »). Et c’est la discorde. Puis c’est Caïn et Abel, le meurtre fratricide par jalousie.

Toute la souffrance de notre vie n’est que ce drame de la rupture de la relation d’acceptation de l’autre, de l’amour non possessif ni fusionnel mais celui de la communion. La rupture d’acceptation de l’autre se traduit nécessairement par l’affrontement.

Derrière le Vous serez comme des dieux, chacun va se penser « dieu » tout seul, donc contre tous les autres qui se pensent également « dieu ». Il y a multiplication et non plus unité et chacun devient un mini dieu – centre du monde. C’est l’ego avec, pour nom générique, l’orgueil. L’orgueil est presque un des noms du démon lui-même. C’est un nom, un mot qui provoque généralement une réaction intime, profonde et vive : et toi qui es-tu pour parler d’orgueil, pour prononcer le mot. L’orgueil se décline ensuite en égocentrismeégoïsmenarcissisme et amour propre…, c’est-à-dire dans tous les cas « je m’aime » et non pas « j’aime l’autre, le prochain ». Tout se transforme en attitude de possession et de domination. Toute possession vise à la domination et réciproquement. C’est une tension permanente. Peut-on imaginer un seul instant ce que serait la vie, et l’histoire si l’on arrivait à surmonter cette donnée ? Les diverses philosophies et autres doctrines psychologiques et sociologiques ne font que diluer le problème. Pour la spiritualité orthodoxe, c’est la toile de fond sur laquelle s’élabore et se construit la démarche du repentir.

À suivre…

Père Jean Gueit

Le père Jean Gueit est le recteur de la paroisse Saint Hermogène à Marseille, actuellement Vice-Président du conseil diocésain de l’Archevêché des églises de tradition russe en Europe Occidentale. Ancien secrétaire général de la Fraternité Orthodoxe en Europe occidentale.

NB : La seconde partie de cet article sera accessible sur notre site dans une semaine.

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