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Trois saints pour notre temps

pravoslavie.ru

À l’effondrement du communisme, tout était à reconstruire dans l’Église : après des siècles d’instrumentalisation du pouvoir séculier, puis des persécutions inouïes, les chrétiens sortaient d’une clandestinité qui avait grandement fragilisé la transmission des traditions ecclésiales. La violence du choc qui affecta toutes les sociétés jusque-là soumises au communisme fut aussi une grande épreuve pour tous, et imposa aux chrétiens une difficile réflexion sur leur place dans la société. Mais Dieu n’abandonne pas Son peuple, et quand les chrétiens ont retrouvé leur liberté, Il leur a montré par des signes à quoi ils pouvaient employer cette liberté pour reconstruire l’Église.

L’un de ces signes, Dieu l’a donné en 1993 au monastère d’Optina, dans l’oblast de Kaluga, l’un des « joyaux de la Russie », qui a brillé pour ses nombreux grands pères spirituels au XIXe siècle. Trois moines furent assassinés par un homme du nom de Nicolas Averine, dans la nuit de Pâques, après la fin de la liturgie et des agapes festives. Deux moines, les frères Théraponte et Trophime, furent frappés à coups de poignard pendant qu’ils sonnaient les cloches à la volée pour annoncer la joie pascale ; un hiéromoine, le père Basile, fut frappé quelques instants plus tard de la même manière, de dos, alors qu’il se rendait à un skite du monastère. Le meurtrier avait utilisé un couteau dont la lame était gravée du nom « Satan », et du chiffre 666. S’il serait douteux d’en déduire que c’était sous la conduite de Satan que l’homme a agi, on voyait bien le rejet viscéral dont faisait encore l’objet le christianisme dans une société balayée pendant 70 ans par des idéologies très sombres

Après le choc de ce triple meurtre, les habitués de ce monastère, qui étaient très nombreux, car les paroisses étaient encore rares, échangèrent leurs souvenirs sur la vie de ces trois hommes, et ce qui était déjà su par beaucoup de manière individuelle apparut de manière claire à toute la communauté : ces trois hommes étaient de saints ascètes. Les sites internet russes, et d’autres en langue anglaise, regorgent de témoignages des grâces répandues autour d’eux, qu’il s’agisse de la guérison morale des affligés qui venaient leur confesser leurs peines, ou même des miracles qui arrivaient dans la vie du monastère.

Ce qui semble le plus impressionnant, c’est que chacun de ces moines semblait avoir pressenti que sa mort arrivait, et avait réagi, chacun à sa manière, en conséquence : le frère Théraponte, habituellement très silencieux, en demandant soudainement à tous ceux qu’il rencontrait de prier pour lui ; le frère Trophime, pourtant en très bonne santé, avait confié à des moines qu’il savait n’avoir plus que peu de temps à vivre. Le père Basile, qui avait un jour reçu une croix apportée de Jérusalem par des pèlerins, et qui la chérissait, avait décidé de l’offrir à un moine dont c’était la fête quelque temps plus tôt. La croix fut même accrochée dans l’atelier d’iconographie, où travaillait le moine ; et c’est devant cet atelier que le père Basile fut retrouvé étendu après l’acte du meurtrier.

Fêtés par l’Église de Russie le 18 avril, jour où tombait Pâques en 1993, saint Basile, saint Théraponte et saint Trophime sont souvent appelés « néomartyrs », un titre utilisé en Grèce pour désigner les martyrs aux mains des Ottomans, et en Russie pour désigner les martyrs de la persécution communiste. En réalité, il faut signaler que la qualification de martyr ne s’applique pas tout à fait : le martyre implique d’avoir été tué pour avoir refusé d’abjurer la foi chrétienne1, et l’enquête qui a suivi leur meurtre a bien établi que l’assassin avait l’intention d’accomplir une sorte de meurtre rituel, et non de contraindre des moines à renoncer à la foi. Les moines ont tous été frappés dans le dos, ce qui signifie qu’ils n’ont pas eu l’occasion de choisir de mourir plutôt que de renier le Christ.

Que les trois saints ne soient pas des martyrs au sens strict ne signifie pas qu’ils soient moins saints que d’autres. En réalité, les témoignages qui ont suivi leur mort montrent bien qu’ils étaient de grands ascètes, qui avaient déjà acquis l’Esprit Saint dans cette vie. À cet égard, on peut à raison les célébrer comme des vénérables, dans le même rang que saint Serge de Radonège ou saint Séraphin de Sarov. Mais surtout, on peut voir un signe édifiant dans le fait que les trois victimes de l’assassin, en cette nuit de Pâques 1993, aient été ces trois saints, précisément. Quiconque a lu des récits sur la vie monastique, antique ou contemporaine, sait que les monastères hébergent parfois de vrais saints, mais qu’ils sont loin d’être la majorité, tant l’ascèse est une voie ardue.

Le meurtrier aurait pu, dans son acte cruel, tomber sur un moine sorti fumer en cachette, ou tout simplement un moine encore peu avancé dans la voie de l’union à Dieu. Comme le montre saint Paul (Rm 9, 4) en citant les imprécations de Moïse contre Pharaon, Dieu ne contraint pas Ses créatures à faire Sa volonté, et il permet que le mal arrive ; cependant, Il l’utilise pour manifester malgré tout Sa gloire et Sa volonté dans le monde. Aussi, face à un assassin acquis à Satan, déterminé à commettre un meurtre, Dieu a voulu que les trois victimes qu’il frapperait soient de grands spirituels, afin de révéler leurs exploits, et afin que le monde connaisse trois nouveaux exemples de sainteté.

En mettant sur la route de l’assassin trois pères pneumatophores, Dieu a transformé un très grand mal en un bien plus grand encore. Alors que l’Église russe émergeait d’une période particulièrement trouble, à elle ainsi qu’à toutes les Églises libérées du joug communiste, Il a montré par quelle arme les chrétiens pouvaient espérer vaincre leurs ennemis invisibles et construire la Cité de Dieu : à l’exemple du monachisme dont les saints Basile, Théraponte et Trophime furent de si grands luminaires, par la voie de l’obéissance, de l’ascèse et de la charité en Christ. À l’exemple de l’humilité extrême de l’un qui n’arrivait pas à reprendre les pèlerins trop courtement vêtus car il ne voyait que ses péchés. Ou de celui dont la bonté rendait la joie même à ceux qui venaient lui confesser des envies suicidaires.

Un message spirituel d’une telle portée vaut aussi pour nous qui, en Occident, connaissons d’autres difficultés et d’autres épreuves : la mémoire de ces trois saints pourrait être inscrite au 18 avril de notre calendrier liturgique, et vénérée par un office.

Vénérables pères Basile, Théraponte et Trophime, priez Dieu pour nous.

Nicolas Vodé est éditeur au sein d’une maison d’édition chrétienne. Il est lecteur et chantre dans une paroisse parisienne.

  1. C’est pourquoi les saints princes Gleb et Boris, ainsi que le saint tsar Nicolas, ne sont pas commémorés comme martyrs, mais comme des « athlophores » : ils sont saints non pas pour avoir renoncé à la vie par fidélité au Christ, mais pour avoir accepté la mort dans le but d’éviter une plus grande effusion de sang, imitant en cela le sacrifice du Christ.
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