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Comprendre le Symbole de Foi (5)

Avec ce quatrième article consacré au Symbole de Foi, nous vous proposons des commentaires sur le Credo en deux parties. Le premier a été rédigé par Vladimir Lossky peu avant sa mort en 1958, complété par l’archimandrite Pierre L’Huillier et publié dans la revue Contacts, N° 38-39 en 1962. La seconde partie a été rédigée par le père Alexandre Schmemann, pour être lue sur les ondes de Radio Liberty ; elle a été publiée dans le recueil Vous tous qui avez soif, YMCA Press. 2005.

Vladimir Lossky

Qui a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli.

L’œuvre salvatrice de Notre Seigneur Jésus Christ est un tout indissociable ; l’Incarnation, la Mort sur la Croix, la Résurrection ne sont que des moments successifs de cette même œuvre. L’article du Credo sur la Passion mentionne que cet événement a eu lieu sous Ponce Pilate, par-là est souligné le caractère historique de la Passion. Alors que les exploits supposés des dieux et des héros païens se situaient dans un passé reculé et fabuleux, l’œuvre salvatrice du Christ appartient à un moment historique précis et se place dans un milieu nettement déterminé.

On notera la répétition de l’expression pour nous, déjà rencontrée dans l’article sur l’incarnation : la mort rédemptrice de Jésus Christ est source de pardon et de réconciliation non seulement pour l’humanité en général, mais pour chaque croyant en particulier : entre le Christ et chaque chrétien il y a une relation personnelle et c’est à chacun d’entre nous qu’est adressé cet appel : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et qu’il me suive » (Mt 16,24).

La mort sur la Croix ne peut être séparée de la Résurrection, mais il faudrait bien se garder d’une interprétation erronée qui masquerait l’aspect glorieux, propre à la Passion elle-même. Si la Résurrection du Seigneur a manifesté sa victoire, la mort sur la Croix a inexorablement déjà signifié la défaite des forces du mal. Les paroles de Jésus crucifié : « Eli, Eli, lema sabachtani » (Mt 27,46) sont tirées d’un psaume messianique qui exprime non seulement la souffrance dit juste, mais aussi sa confiance en Dieu (Ps 22) et doivent être mises en parallèle avec le chant du Serviteur de Yahvé (Isaïe 52,13-53,12), et le dernier mot de Jésus expirant est : « Tout est accompli » (Jn 19,30). Ce caractère glorieux de la Passion est universellement souligné dans la Tradition : en Orient, la Croix reçoit régulièrement l’épithète de vivifiante, tandis que dans les liturgies occidentales, la Passion est généralement qualifiée de glorieuse ou de bienheureuse.

Cela est fidèlement reflété dans l’iconographie orthodoxe qui est étrangère à toute contemplation morbide de la crucifixion ; même en ce moment de kénose extrême, l’Église n’oublie pas que celui qui est suspendu sur le bois est « celui qui a suspendu le monde » (Office des Saintes Souffrances, 15e antienne). Pourtant, il ne faudrait pas en déduire que l’Église arrête sa pensée sur l’immense et réelle souffrance de Jésus crucifié. Elle l’exprime, au contraire, avec un réalisme vibrant de douleur et d’autour : « Chacune des parties de ta Chair sainte a souffert quelque déshonneur à cause de nous : ta tête, les épines ; ta face, les crachats ; ta bouche, le goût du vinaigre et du fiel ; tes oreilles, les blasphèmes injurieux ; tes épaules, la pourpre de dérision ; ton dos, la flagellation ; ta main, le roseau ; les tiraillements de tout ton Corps sur la croix ; tes membres, les clous, et ton côté, la lance. Toi qui as souffert pour nous et qui, en souffrant, nous a libérés, toi qui par amour envers les hommes t’es abaissé avec nous et qui nous as relevés, Sauveur, aie pitié de nous. » (ibid.)

C’est un dogme fondamental pour le christianisme que la mort sur la Croix a apporté à l’humanité déchue la rédemption et la réconciliation avec Dieu. Une interprétation erronée, ou tout au moins gravement déficiente, de ce dogme consisterait à placer la Rédemption dans une catégorie juridico-éthique, tendance qui a marqué de son empreinte la théologie occidentale depuis le Moyen- ge, au détriment du vigoureux réalisme de la pensée chrétienne antique. Dans la perspective juridico-éthique, l’accent est mis sur l’offense faite à Dieu par le péché originel, offense qui nécessite une réparation pour apaiser le courroux divin, et c’est la mort du Fils de Dieu incarné qui constitue le sacrifice de réparation.

La perspective orthodoxe, fondée sur la sainte Écriture ainsi que sur la tradition liturgique et patristique antique apparaît d’une autre dimension : le péché originel fut le fruit amer de la liberté concédée à l’homme par son Créateur : Dieu a voulu être adoré et aimé par des créatures libres, car seule cette liberté donne un sens à l’amour ; sans possibilité d’autodétermination. – et donc de refus -, l’amour de l’homme pour Dieu n’aurait été que la réflexion de l’amour de Dieu pour lui-même, comme l’est l’éclat d’une lumière projetée sur un miroir. En optant pour le mal, l’homme a trahi sa vocation et s’est trouvé asservi au pouvoir de l’Ennemi, Dieu pourtant n’a pas laissé l’humanité aller à la dérive. Certains Pères de l’Église, tels saint Irénée et saint Théophile d’Antioche, expliquent la condescendance divine par le caractère non-adulte de l’humanité primitive. Bien qu’ayant péché librement, l’homme n’avait pas une responsabilité absolue. L’œuvre de réconciliation s’est faite en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme. En se livrant volontairement à la mort, il en a brisé irrémédiablement la puissance, puisque la mort n’a pu vaincre l’Homme-Dieu. Comme dit l’hymne latin Victimae paschali : « La mort et la vie ont engagé un stupéfiant combat ; l’Auteur de la vie, après être mort, vit et règne. »

Homme sans péché, prémices d’une humanité nouvelle libérée de l’esclavage diabolique, le Christ se présente au Père comme la victime pure, l’agneau sans tache. L’aspect sacrificiel de la mort de Jésus Christ est étroitement lié à l’Ancienne Alliance qui est accomplie et dépassée. Les oblations de l’ancienne Loi étaient appelées à attirer la faveur divine, afin que Dieu agrée l’expiation des fautes ; elles étaient l’annonce et la figure du sacrifice parfait du Christ, grand prêtre et victime, qui est, comme dit la Liturgie de saint Jean Chrysostome, celui qui offre et qui est offert. Le sacrifice du Christ n’est pas seulement le dernier des sacrifices, il est l’unique vrai sacrifice, ce qu’exprime si bien l’Épître aux Hébreux : « Tel est précisément le grand prêtre qu’il nous fallait, saint, innocent, immaculé, séparé désormais des pécheurs, élevé plus haut que les cieux, qui ne soit pas journellement dans la nécessité, comme les grands prêtres, d’offrir des victimes d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, car ceci, il l’a fait une fois pour coules en s’offrant lui-même. La Loi, en effet, établit comme grands prêtres des hommes sujets à la faiblesse ; mais la parole du seraient – postérieur à la Loi – établit le Fils rendu parfait pour l’éternité » (Hé 7,26-28).

Après sa mort, le Seigneur a été enseveli et son corps est resté jusqu’au troisième jour dans le tombeau. Ce moment est décrit avec une grande précision théologique dans un tropaire du rite byzantin : « Dans le tombeau corporellement, dans les enfers en âme comme Dieu, au paradis avec le larron, tu étais sur le trône avec le Père et l’Esprit, ô Christ, qui emplis tout et qu’aucun lieu ne peut contenir. »

Durant son ministère terrestre, Notre Seigneur avait fait allusion à son ensevelissement. Aux Juifs qui demandaient un signe, Jésus répond : « Génération mauvaise et adultère. Elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que celui du prophète Jonas » (Mt 12,39), et encore : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2,19). Pénétrant dans l’Enfer en libérateur, brisant par sa propre mort le pouvoir de la mort que le péché avait introduit, le Christ est le nouvel Adam, prémices d’une race nouvelle qui peut, par son adhésion au Christ vainqueur, retrouver sa vraie vocation, celle de l’union avec Dieu.

Père Alexandre Schmemann

Jésus a donc été crucifié ! Pourtant, tout son ministère, son enseignement, sont une incarnation constante d’amour, de bonté, de compassion, de miséricorde. Des foules entières le suivent. Mais où a disparu cette foule lorsque le Christ se trouve devant le grand prêtre, puis devant Pilate, quand on le cloue sur la croix ? D’où vient cette haine envers Lui qui croît progressivement, et dont l’ultime manifestation retentit pour l’éternité dans ce terrible cri de la foule : « Crucifie, crucifie-Le ! » C’est en la personne de Jésus que Dieu est venu à nous, s’est uni à nous, nous a ouvert l’accès au Royaume éternel d’amour et de lumière. Mais le monde ne l’a pas reçu : « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas accueilli… » (Jn 1,11). Pourquoi le Christ a-t-il été rejeté ?

Le Christ est rejeté, haï, et finalement crucifié, non pas pour ses crimes prétendus dont il est accusé de façon calomnieuse. Même Pilate, qui en est témoin, sait qu’il condamne à mort un homme innocent. Les grands prêtres savent aussi que ce ne sont que mensonges et diffamations. Le Christ est crucifié uniquement parce que l’amour, le bien manifestés en Lui, cette lumière éblouissante qui émane de Lui, sont intolérables aux hommes. Intolérables, puisque cette lumière révèle au grand jour le mal dont vivent les hommes tout en essayant de se le dissimuler à eux-mêmes.

Le Christ apparaît comme un témoin de leur mensonge et de leur méchanceté : or tout malfaiteur sait très bien qu’il faut en priorité éliminer le témoin du crime pour garantir la caution solidaire du mal. Oui, des foules suivaient le Christ tant qu’il secourait les gens, les guérissait ou faisait des miracles. Mais ces mêmes foules ont abandonné le Christ. Elles ont senti, par un instinct terrible du mal, que dans cet homme parfait, se trouvait leur propre condamnation ; que par son amour même, par sa perfection, le Christ exigeait d’eux une vie dont ils ne voulaient pas, un amour, une vérité, une perfection qui leur étaient insupportables. Un tel témoin devait être éliminé.

Seulement voilà, dans ce triomphe apparent du mal, c’est en réalité le bien qui est victorieux. Car la victoire du bien commence justement par la révélation du mal en tant que mal. Heure après heure, pas à pas, à travers ce terrible triomphe, s’embrase la lumière de la victoire. Elle retentit dans le repentir du bon larron crucifié (cf. Lc 23,39-43) et dans les paroles du centurion qui commandait le supplice : « Cet homme était véritablement Fils de Dieu ! » (Mc 15,13 ; Jn 27,54). Par sa mort sur la croix, le mal est détruit de l’intérieur, car extérieurement le mal reste toujours le mal. La croix est le début de cette victoire qui verra son accomplissement dans la mort et la résurrection du Crucifié.

Pourquoi Pilate (gouverneur romain de l’époque) est-il mentionné ici, et lui seul ? La première réponse est qu’en nommant Pilate, l’Église confirme l’historicité des événements dans lesquels s’inscrit le salut du monde et de l’homme.

Il y a une seconde raison : elle nous est indiquée dans les paroles adressées par Pilate au Christ qui se tient devant Lui. Selon l’évangéliste Jean, le Christ se tait… Pilate lui demande : « Pourquoi ne veux-tu pas me répondre ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher et le pouvoir de te crucifier ? » (Jn 19,10). Cela signifie que le destin terrestre de l’homme qui se trouve devant Pilate, sa vie et sa mort dépendent de lui. Il sait parfaitement qu’aucun tort ne peut être imputé à cet homme. À partir de ce moment-là, écrit saint Jean, Pilate cherche à le relâcher. Il cherche une occasion de le laisser partir, cependant il ne le fait pas ! Il ne l’a pas relâché, par lâcheté, car il avait peur de la foule ; pour lui, il était plus facile de complaire à cette foule en condamnant à mort un innocent, que de prendre le risque d’une agitation, d’une émeute, d’une dénonciation à Rome… Pilate était libre, et cette liberté fait que son acte devient absolument tragique. Cette mention de Pilate résonne pour chacun de nous comme un rappel de notre liberté. Cette liberté, cette possibilité de choix fait que notre foi elle-même nous jugera. C’est dans cette liberté que chacun de nous décide de son destin éternel.

Le mot « crucifié » renvoie d’abord à ceux qui ont crucifié le Christ. Alors qu’en disant a souffert, nous parlons du Christ.

Durant sa vie publique, le Christ a toujours soulagé les gens qui souffraient. Mais en faisant cela, et en nous recommandant de le faire, Il ne dit jamais qu’il est venu épargner le monde de la souffrance. « Dans le monde vous aurez à souffrir, dit-Il » (Jn 16, 33). Toutes les religions, toutes les philosophies, toutes les idéologies promettent une libération de la souffrance. Seul le christianisme ne promet pas à l’homme une vie sans souffrance.

Dieu a créé l’homme non pas pour les souffrances et les tourments, mais pour la joie et la vie en surabondance. C’est la chute due au péché qui a introduit la souffrance dans le monde. La souffrance est liée à notre état d’hommes déchus. Le Christ, bien que sans péché, s’y est soumis de son plein gré. Il monte à Jérusalem, va vers la souffrance, accepte librement de se livrer à elle.

C’est pour nos péchés qu’Il subit la mort sur la Croix. « Voici l’agneau de Dieu qui prend le péché du monde » (Is. 53,7-12 ; Jn 1,29).

La réponse du Christ à la souffrance n’est pas l’anéantissement du mal, mais la transformation de cette souffrance en victoire sur le mal. La souffrance, le Christ l’a comblée de sa foi, de son amour, de son espérance : Il lui a donné un sens. Il a rendu possible de convertir la souffrance destructrice en une naissance à la vie spirituelle authentique.

« Le noble Joseph descendit de la croix ton corps très pur, l’enveloppa d’un linceul immaculé et le déposa couvert d’aromates dans un sépulcre neuf » (tropaire du Vendredi Saint, cf. Jean 19,38-42).

Le Symbole de la foi parle non pas de la mort, mais de l’ensevelissement du Christ. Cet ensevelissement, l’Église le renouvelle chaque année au cours de la Grande Semaine Sainte. Après les ténèbres du Vendredi Saint, jour de la crucifixion et de la mort du Christ où toutes les forces du mal se sont abattues sur Lui, lorsqu’on arrive au Samedi, se dresse au milieu de l’église l’épitaphion, c’est-à-dire un tombeau sur lequel est représenté le Christ mort.

« Ô Vie ! Comment peux-tu mourir ? Comment peux-tu te loger dans un tombeau ? » Voilà la question que nous posons au Christ qui se trouve dans la tombe. Le Christ apporte cette réponse qui résonne dans les merveilleux chants de ce jour : « J’avais deux amis : Adam et Eve. Je suis venu vers eux, mais Je ne les ai pas trouvés sur cette terre que Je leur avais donnée. Comme Je les aimais, Je suis descendu là où ils se trouvaient : dans les ténèbres, l’épouvante et le désespoir de la mort. »

Celui qui est la Vie même, par amour et compassion, descend dans la mort qu’il n’avait pas créée, mais qui s’est emparée du monde. La mort engloutit la vie, mais voilà, avec la mort du Christ, elle se trouve elle-même absorbée par la Vie.

Le Christ avance dans le royaume de la mort, annonçant à ceux qui sont aux Enfers la fin de l’empire des ténèbres. Désormais la mort est vaincue parce qu’elle a été assumée, anéantie par le Christ : « La mort est engloutie par la victoire », s’exclame l’apôtre Paul (1 Cor. 15,54). De la même façon, devant le cercueil de chaque défunt nous chantons : « Transformons les sanglots funèbres en chant d’alléluia ! »

Chacun de nous doit mourir. Mais en confessant le Symbole de la foi, l’Église affirme que le Christ a transformé la mort en une rencontre avec Lui au seuil de la Résurrection.

« Ô Christ, Toi la Vie, Tu as été déposé dans le tombeau ; par ta mort Tu as détruit la mort et Tu as fait jaillir la vie pour le monde. » « Ton tombeau vivifiant, source de notre résurrection, nous est apparu, ô Christ, plus resplendissant que le paradis et plus éclatant en vérité qu’aucune demeure royale » (chants du Samedi Saint).

Le sycomore

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