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Regard d’un chrétien sur la destruction de la Création

Forêt de pins (île d'Oléron). Photo : Xénia Cr.

En ce début du mois de janvier, je contemple mon pays, mes arbres et je mesure une fois de plus l’ampleur du désastre. Certains ne voient rien car ils regardent ailleurs. Pourtant, sous mes yeux se montrent les troncs morts des ormes, les plaies couvrant l’écorce des châtaigniers. Plus à l’est, l’hécatombe des frênes avance davantage chaque année. La multitude des plantes et des insectes des prairies se trouve réduite à presque rien. Les moineaux, alouettes, papillons ou abeilles domestiques, pour ne citer que des exemples parmi les plus connus, survivent eux aussi avec peine. Et qui garde encore ici le souvenir d’un râle des genêts, d’une perdrix croisée au détour d’un chemin ou d’une anguille surprise parmi les herbes humides ?

Je regarde les champs nus. La terre, dont la vie microbienne, fongique et animale a été largement détruite est un malade sous perfusion chimique. Elle ne peut dès lors plus soutenir la santé des hommes qui s’empoisonnent déjà en buvant l’eau des rivières et des puits et en mangeant des fruits du sol. Dans une relative indifférence, la vie sociale, la culture et la langue de ceux qui vécurent ici et prirent soin de ce lieu pendant des générations disparurent également dans les bouleversements du siècle passé.

La nature, icône et grandeur de Dieu, dont l’Homme a la charge

« Moi, je suis le pain vivant qui descend du ciel, Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. » (Jn 6, 51)
« Interroge le bétail pour t’instruire, les oiseaux du ciel pour t’informer. Les reptiles du sol te donneront des leçons, ils te renseigneront les poissons de la mer. Car lequel ignore, parmi eux tous, que la main de Dieu à fait tout cela ? » (Jb 12, 7-9)

Bien souvent j’aurais voulu m’adresser à ceux qui saccagent le pays. Leur dire que le monde, polyphonie de logoï, est saturé de la beauté des œuvres de Dieu, leur parler des reflets du plumage du geai, de la couleur du Lychnis ou de la Centaurée, de l’odeur de l’ajonc, du plaisir de regarder vivre son troupeau, de parcourir le champs de blé qui nourrira les hommes. De l’odeur du pain, du goût des pommes. Car dans les plus petits détails se révèlent les grandeurs de la Sagesse divine, dit Saint Basile de Césarée.

Saint Joseph l’Hésychaste exprime lui aussi avec force cette expérience lorsqu’il nous rappelle que :

« Dieu est partout ; (…) Nous respirons Dieu, nous mangeons Dieu, nous nous habillons avec Dieu. Tout loue et bénit Dieu. Toute la création est un appel. Toute chose, inanimée ou animée, parle merveilleusement et glorifie le Créateur. « Que tout souffle loue le Seigneur. » (Ps 150,6) »

Oui, j’aurais voulu leur dire que tout nous parle de Dieu et que tout est infiniment précieux et beau. Et d’ajouter, reprenant les paroles de Saint Païssios, que « cette herbe est une icône ; cette pierre est une icône ; et je puis l’embrasser, la vénérer, parce qu’elle est emplie de la grâce de Dieu. ». Il suffit pour le voir de laisser un instant les soucis de ce monde et d’ouvrir les yeux.

Leur dire aussi que nous n’avons de droits sur rien, contrairement à ce que tout le monde veut bien nous faire croire, mais que nous est « simplement » offerte la liberté de devenir les enfants de Dieu et de contempler, de transfigurer ce monde qui nous est confié.

Et face aux sourires moqueurs ou à l’incompréhension, dire qu’il ne s’agit pas ici d’un néo-romantisme écologique, de nostalgie sentimentale, réactionnaire ou d’un mysticisme poétique, mais simplement de notre condition humaine nue, condition que connaît bien l’Église à travers la longue expérience qui est la sienne et que s’efforce vainement de nier notre société contemporaine.

Notre rapport actuel à la nature : entre exploitation et éco-anxiété

Pourtant, dire toutes ces choses serait peine perdue car les saccageurs me donneraient assurément cette réponse sans équivoque : “Nous possédons le monde et avons des droits sur lui. Nous pouvons d’ailleurs le faire valoir si besoin auprès de l’institution judiciaire. L’État quant à lui nous encourage et nous subventionne largement dans notre entreprise. La Science et le Progrès nous ont permis de faire table rase de nos héritages et apporteront bientôt une solution à nos problèmes. Nous ne connaissons pas l’altérité divine ni d’ailleurs aucune autre forme d’altérité, et tout devient objet, capté par la rationalisation économique et l’abstraction, entre nos mains. Le monde se mesure, se cloisonne, se dévore sans aucune limite, au bruit des moteurs thermiques. La vie est une mécanique et une guerre de tous contre tous.”

Au loin – mais de moins en moins loin – les hommes des villes sont pris d’« éco-anxiété », de pessimisme. Les yeux posés sur leurs écrans, certains se lamentent. « Il faut agir, revoir notre modèle agricole, verdir notre production d’énergie, mieux trier nos déchets… » Impuissants à envisager un autre mode de relation au monde (il est « plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme » selon les mots du philosophe américain F. Jameson), ils cherchent avec beaucoup de naïveté à aménager l’erreur qui les tourmente et qu’il faudra pourtant bien un jour, de gré ou de force, abandonner.

La peur d’un effondrement à venir fait ainsi son chemin, elle rampe dans les esprits. Et pourtant l’effondrement n’est aujourd’hui plus de l’ordre du possible (en lien avec une éventuelle prise de conscience ou un choix politique) mais bien une certitude déjà présente et agissante et dont les multiples facettes ne se découvrent à nous que progressivement. Le choix a été fait et il est déjà définitif. La question est maintenant de savoir comment assumer la catastrophe.

Re-questionner notre rapport à la nature et aux bouleversements actuels en tant que chrétien

Aussi en cette heure décisive, devrions-nous peut-être espérer que « l’Apocalypse » si souvent annoncée le sera au sens le plus plein du mot. Pas seulement bouleversements et menaces pour nos vies mais, au-delà, irruption de la Révélation divine, celle qui nous fait cheminer à travers l’ascèse de la Croix à la Résurrection et « levée du voile » sur l’hubris et l’orgueil absolument futiles et mortifères qui nous ont fait placer notre confiance dans l’Homme seul et dans ses idoles. Car laissé à lui-même, toujours l’Homme révolté se délite et finit par disparaître.

Nous, chrétiens, posons-nous également cette question : quel est ce pain que nous posons sur l’autel pour en faire le Corps de notre Dieu ? Autrefois, c’était le salaire de notre peine, la condition du maintien de la vie de notre corps mais aussi le symbole plein de notre communion quotidienne avec la Création. Il y avait alors la table de la maison sur laquelle était posée la nourriture provenant du travail des champs et la Table du Seigneur sur laquelle cette nourriture reçue puis offerte devenait nourriture ecclésiale et spirituelle. Aujourd’hui, pain insipide, n’ayant pas même connu la main de l’homme, acheté un sou au coin de la rue, il représente bien plutôt notre reniement et notre avarice. Ainsi le festin de noces se change-t-il insensiblement en un rituel vide et désincarné.

C’est sur cette question très concrète et vécue, dont nous trouvons l’écho dans les paroles du prophète Malachie (Ml, 1,7), ainsi que dans les recherches théologiques et universitaires qu’il nous faut interroger aujourd’hui notre relation à Dieu.

« Ce qui est à Toi, le tenant de Toi, nous Te l’offrons en tout et pour tous. »
Voici ce que nous avons fait de la vigne confiée par le Maître.
Voici ce que nous apportons sur Son autel.
Qu’attendons nous de Lui en retour ?

Diacre Julien Guillou

Julien Guillou est marié, père de 3 enfants et diacre de la paroisse Saint-Jacques, frère du Seigneur, à Quimper. Il est paysan et travaille en famille à la culture des légumes, à l’élevage des vaches laitières et à la confection du pain.

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