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Réflexions face à la mort

Photo : Alexandra de Moffart

La mort d’un être humain est, je suppose, l’évènement le plus mystérieux auquel, tôt ou tard, on est confronté au cours de notre vie. Je parle plus particulièrement de la mort de nos proches. Cette expérience peut s’avérer très différente. Mais on peut en être certain : elle laisse une trace ineffaçable dans le cœur de chacun de nous. Maintenant que je me retrouve, pour des raisons professionnelles, en service de réanimation où les médecins et les soignants luttent pour la vie humaine, et sont inévitablement confrontés à la mort, je me pose cette question : qu’est-ce que la mort pour moi personnellement ? 

Il me semble qu’il est nécessaire de se poser de telles questions de temps en temps pour chasser les peurs liées à la superstition et pour remplir son cœur de la vraie espérance chrétienne et de la foi en Dieu.

La mort, gain ou perte

Dans une de ses lettres, l’apôtre Paul a écrit : « Pour moi, la Vie c’est le Christ, et la mort m’est un gain » (Ph. 1, 21). Il parle du Christ comme de la plénitude de la Vie qu’on reçoit. La mort n’y est qu’une porte : quand on y entre, nous ne perdons rien, mais bien au contraire, nous recevons (gagnons) la Vie dans toute sa plénitude.

« Comment ça on ne perd rien ? me direz-vous. On perd absolument tout, on ne peut rien emporter dans l’au-delà, rien de tout ce qui nous est si cher, ni nos proches. On sera obligé de tout laisser ». 

Tout laisser, vraiment ? Je pense que non. Ce que nous allons emporter dans la mort, c’est notre trésor principal, le livre de la mémoire, tout ce que l’amour y a inscrit au cours de toute notre vie. Ce livre est l’âme de chacun de nous. Certes, nous ne pourrons pas revoir nos proches, mais ce n’est que pour un moment, une période donnée. Nous garderons dans l’éternité la foi et l’amour, car ces deux-là survivront à tout, réuniront ce qui a été détruit, rempliront ce qui a manqué, feront ressusciter tout ce qui était mort en nous – par le Christ Sauveur.

La mort en action

Plus de trente ans après ma première expérience de rencontre avec la mort, une question demeure cependant pour moi : qu’est-ce qui dicte le temps de la mort pour chaque personne? 

Hier, dans notre service de réanimation se trouvaient trois patients atteints du Covid-19. Malheureusement, on ne pourra pas les sauver. Tous les moyens ont été mobilisés, mais  ils vont mourir bientôt. Devant mes yeux se trouve un homme connecté à un appareil de respiration. Tous ses organes vitaux sont placés sous monitoring. Grâce à cela, on peut voir sa vie s’éteindre progressivement. Les chiffres tombent lentement, comme les feuilles d’un arbre à l’automne, qui tantôt montent vers le haut sous l’effet d’un coup de vent, tantôt descendent, avant de toucher la terre. Tous les jours je vois beaucoup de familles de mourants. Avec une grande tristesse, les larmes aux yeux, ils viennent visiter leurs proches durant les dernières minutes de leur vie. 

La mort n’est pas terrifiante, croyez-moi. Elle est pleine de tristesse et de larmes.

Marie vient au tombeau et ne reconnaît pas le Christ, elle pense que c’est un jardinier. Je la comprends parfaitement ! Quand tes yeux sont pleins de larmes, tu ne peux rien voir autour de toi, tu perds la voix… Les petites lumières de couleurs différentes des appareils médicaux ne cessent de clignoter, tels les feux des lampes dans les mains des femmes pressées vers l’endroit où le corps de Jésus avait été déposé…

La mort comme séparation

Quand j’avais quatorze ans, ma grand-mère Véra que j’aimais beaucoup est décédée. Il m’est difficile d’exprimer à quel point j’étais proche d’elle, je l’appréciais énormément. Elle était de ces personnes dont l’amour a rédigé les premières pages du livre de ma mémoire. Je reviens très souvent vers ces premières pages dans mes souvenirs pour les feuilleter avec délicatesse, pour me rappeler tout ce qu’elle était pour moi.

Je me rappelle exactement le jour où elle est partie. Un mois d’août froid et pluvieux. Dans la nuit, on a sonné à la porte et je me suis réveillé. L’oncle Sacha (son fils aîné), triste, me dit : « Nikolaï, viens avec moi… Grand-mère est morte ». Ces paroles sont gravées dans mon cœur comme les lignes sur les paumes de mes mains !

C’est étrange mais, à ce moment-là, je n’ai eu aucune émotion : à mon avis, je n’ai pas compris ce qui s’est passé exactement. Je n’ai pas ressenti la mort d’un être très proche comme une tragédie, comme une perte. Même maintenant, plusieurs années après, je ne peux pas voir sa mort comme une perte ou un moment douloureux, non. Je vois son départ comme un moment de séparation temporaire mais obligatoire. Parce que, au plus profond de mon cœur, je ressens toujours un lien inséparable avec elle, avec mon grand-père, avec l’oncle Sacha, et avec tous ceux qui me sont infiniment proches mais qui sont partis.

Très probablement, ma mort sera semblable. Quelqu’un de très proche sonnera à ma porte, je lui ouvrirai. Il y aura un ange ou l’oncle Sacha, mais cette fois il sera joyeux. Il dira presque les mêmes mots : « Nikolaï, viens avec moi. Notre Maître bien aimé, et nous tous, nous t’attendons ».

P. Nicolas Tikhonchuk

P. Nicolas Tikhonchuk est infirmier, père de famille et prêtre à la paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés (Paris).  

D’autres publications de l’auteur ici :

https://www.editeurs-reunis.fr/post/sacrement-foi-vie

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