Le 6 octobre, aux Vêpres, faisant mémoire de la conversion et de la confession de l’apôtre Thomas après une période de scepticisme, nous chantons trois fois : « Tu puises la vie éternelle […] pour en irriguer ceux dont l’ignorance avait laissé en friche les cœurs… ».
C’est une constatation terrible, « l’ignorance laisse le cœur en friche ». Et, sur les friches poussent toutes sortes d’herbes, des bonnes et des mauvaises. Le bon grain donne encore quelques fruits que personne ne cueille plus. Bientôt les mauvaises herbes envahissent la terre abandonnée, puis étouffent les bonnes, qui meurent. Et, si personne n’intervient, la terre infestée meurt à son tour. Balayée par les vents, battue par les pluies, pas même un buisson sauvage ne peut y planter ses racines. La terre est morte.
« L’ignorance laisse le cœur en friche » et je me tais. Je me tais devant le mensonge, la souffrance, l’injustice. Il ne reste que quelques paroles justes au milieu du silence. Le silence est la terre, sur ce silence poussent des faux prophètes, des faux pères spirituels, des idéologies prônant l’argent pour seule valeur, l’intolérance et le fascisme. Les quelques paroles d’espérance sont étouffées. Le silence est comblé par un brouhaha de plus en plus assourdissant. On ne s’entend plus, on ne se parle plus. Alors on commence à se bousculer, à imposer par tous les moyens sa propre vérité, à tuer. Et la boucle est bouclée. Le silence est saturé, la vie étouffe, la vie est tuée par la vie. Ce n’est pas la mort par laquelle tout homme « passe », c’est la mort sèche, aride, sans espérance. C’est la mort sans le Christ !
Mes frères, je ne sais pas si nous portons le bon grain, mais je sais que nous sommes faits pour le porter, que nous pouvons le porter, et donc réensemencer le silence de la vérité que nous connaissons et que le sceptique a prononcé en notre nom, « Tu es mon Seigneur et mon Dieu », de cette parole « subjonctive » : qui procède du doute, de l’incertitude, mais aussi de la volonté. De la volonté de confesser, une fois l’épreuve du doute passé. Et puisque « tu es mon Seigneur et mon Dieu, que ta volonté soit faite », n’allons plus ignorer nos frères ni les laisser dans l’ignorance. Alors nous n’allons plus nous taire, nous n’allons plus nous cacher, nous n’allons plus nous laisser étouffer par les hautes herbes qui nous entourent. Nous allons monter, haut vers les cieux, chercher la lumière et le souffle du vent : le Père, le Fils, et le Saint-Esprit. Et nous allons semer la parole qui suffoquera, nous allons semer, ainsi nous moissonnerons l’ivraie. Nous allons dans la Paix, dans l’Amour, respectueux des lois, mais pacifiquement désobéissants si elles sont iniques, ne jugeant personne, même si le démon nous tente et il le fera, ne levant jamais la main pour déraciner le mal, nous allons sans relâche dénoncer les actes nuisibles, le mensonge, la fausse expertise, la manipulation, l’injustice, la logique de l’argent, le crime, l’indifférence, la violence. Tout ce qui pousse dans le cœur des hommes en friche parce que nous n’avons pas su et ne savons pas enrichir le silence et y semer la parole de Dieu, laissant l’ivraie s’y développer, ainsi que la peine, la solitude et finalement le désarroi et la haine.
Nous ne chercherons jamais le martyr, mais nous ne nous tairons jamais, nous ne chercherons pas à convaincre, mais nous convertirons par nos actes, nous aimerons, nous servirons, nous nous joindrons à l’athée, au sceptique, au fidèle d’une autre confession ou d’une autre religion, pourvu qu’il serve l’homme. Car qui sert l’homme, sert Dieu. Nous n’édicterons jamais ni règle ni loi, car elles nous amèneraient à juger qui ne les respecte pas, et seul le Seigneur est juge !
Nous ne remettrons jamais en cause l’enseignement du Christ et donc la Sainte Église orthodoxe, notre seule vraie famille, et notre seule vraie patrie, car nous appartenons au Royaume des Cieux et le Seigneur est notre Père. Nous garderons la tradition et si nous en sommes dignes, nous l’enrichirons comme nos aînés l’ont fait, nous subirons s’il le faut, mais jamais nous ne nous révolterons, mais jamais non plus nous nous soumettrons sauf à la volonté de « notre Seigneur et notre Dieu ».
Jésus Christ, qui seul nous bénit par la Foi et la célébration de ses divins mystères, fais que nos mains restent douces et nos cœurs fermes et que nos paroles ne se posent sur le silence que pour enrichir nos frères de l’Amour et de la parole du Christ.
P. Nicolas Lacaille (+)
Le père Nicolas Lacaille (1952-2013) a servi comme prêtre au sein de la Métropole grecque-orthodoxe avant de rejoindre l’archevêché de tradition russe en 2004. Le père Nicolas était rattaché à la paroisse Saint-Jean-le-Théologien, à Issy-les-Moulineaux, et desservait également les paroisses de Tours et du Mans, tout en gardant ses fonctions d’aumônier de l’ACER-MJO.
Ce texte est extrait du recueil récemment publié « Un nez rouge et une larme » contenant divers écrits du père Nicolas. Deux autres ouvrages ont également été publiés « Ainsi parlait Esdéhef un jour de grand vent » et « Poèmes pour marmots et marmailles ». Ces trois livres sont disponibles ICI.
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