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Le chant de la Grande Doxologie des Matines

Photo : Alexandra de Moffarts

La Doxologie est un texte liturgique de grande antiquité, qui se prête particulièrement à la réflexion spirituelle. Plus encore, il interpelle les chefs de chœur et les chantres qui l’entonnent aux matines des fêtes. De quoi est-il question dans cette prière ?

Elle commence par le chant des anges à la naissance du Seigneur : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre, bienveillance parmi les hommes ». Ceci nous place dans la perspective de paix et de salut apportée par le Fils de Dieu lors de sa Nativité. Ce chant sanctifie nos lèvres pour entonner ensuite : « Nous Te chantons, nous Te bénissons, nous T’adorons ». Ce texte est proche de la conclusion du huitième cantique du canon des matines, où il est question de toute la création chantant la gloire du Seigneur, proche aussi du chant solennel lors de la consécration des Saints Dons à la liturgie : « Nous Te chantons, nous Te bénissons ». Ici les objets de la louange ne sont pas spécifiés : nous remercions Dieu en général, pour toute la gloire qu’il nous a été donnée d’entrevoir.

Ayant invoqué la Sainte Trinité, nous nous tournons vers notre avocat au ciel, l’Agneau (c’était la désignation bien-aimée du Sauveur employée par les premiers chrétiens, dont les représentations symboliques se voient toujours dans les catacombes et les anciennes basiliques), auquel nous demandons d’avoir pitié de nous. L’humble condition de l’homme déchu est invoquée avec insistance :

« Seigneur Dieu, l’Agneau de Dieu, le Fils du Père, Toi qui prends le péché du monde, aie pitié de nous ; Toi qui prends les péchés du monde, reçois notre prière. Toi qui sièges à la droite du Père, aie pitié de nous. »

La différence entre le singulier et le pluriel quant à la situation de péché dans laquelle est plongé le monde demande à être expliquée. Le péché global du monde – au singulier – est le rejet de Dieu par l’homme, ou du moins son oubli de Dieu et sa tendance de se tourner vers des soucis ou des objets où Dieu n’est pas. Nous sommes alors – tels Adam – jetés hors du Paradis. Ce péché singulier peut aussi être compris comme le premier péché que nous commettons dans la vie, et ceci souvent à l’aube de notre vie. C’est de cela que le Seigneur est venu nous libérer. Les péchés au pluriel sont, eux, non seulement la multitude de nos travers, mais aussi l’habitude de notre faiblesse devant les tentations et les instincts pervers, qui nous ligote littéralement au mal. Pour contrer l’habitude, nous avons besoin d’une prière incessante en vue d’être purifiés. Dans la confiance d’être entendus, notre chant se conclut par une référence à la fraction du Pain consacré dans la liturgie eucharistique : « Car Tu es le seul Saint, Tu es le seul Seigneur, Jésus-Christ, à la gloire de Dieu le Père. Amen. »

Après cet « amen » affirmatif, nous passons à une courte deuxième partie de la doxologie. Celle-ci souligne l’expression de louange incessante avec laquelle le croyant fidèle s’adresse au Seigneur Dieu. C’est aussi l’attitude normative de l’Ancien Testament, du Psautier en particulier. L’objet de la louange est ce qui distingue le Très-Haut de tout autre être, son Nom, sa Personne révélée. Suivant le psaume 144/145,2 (« Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom éternellement »), à perpétuité, nous chantons : « Chaque jour je te bénirai et louerai ton Nom pour les siècles des siècles », et à la suite du livre de Daniel (Dan 3,25), nous nous exclamons : « Tu es béni, Seigneur, Dieu de nos pères, ton Nom est loué et glorifié dans les siècles. Amen. » 

Le sentiment glorieux de gloire divine, que nous avons rencontré en première partie, s’assombrit ici, dans la troisième partie, très priante, de la doxologie, pour montrer la possibilité du péché que l’homme commettrait : « Daigne, Seigneur, nous garder ce jour sans péché ».

C’est alors que l’amour divin se révèle comme miséricorde à l’égard de l’homme brisé, mais non détruit, de sa faiblesse. Dans cette prière, tirée du psaume (Ps 32/33,22), la tristesse qui vient du péché, mêlée à l’espérance, domine : « Que ta miséricorde, Seigneur, soit sur nous, comme nous avons espéré en Toi. » La gloire de Dieu, sujet de l’hymne, se voile quelque peu, elle se révèle sous la forme d’une pédagogie (Ps 118/119,12) : « Tu es béni, Seigneur, enseigne-moi tes jugements », prière plus précise demandant l’enseignement de la sagesse (les « jugements »), répétée trois fois pour signaler la présence de la Sainte Trinité et pour souligner l’insistance du demandeur confiant. Pour s’assurer de l’application des jugements divins, nous avons besoin d’une purification des péchés et d’être en capacité d’accomplir la volonté de Dieu. Seul Dieu peut accorder cela, il faut donc se référer à Lui, comme tout croyant l’a toujours fait (Ps 89/90,1) : « Seigneur, Tu as été pour nous un refuge d’âge en âge ».

La prière s’achève dans la pleine confiance qu’elle sera exaucée, comme la finale des litanies « car Tu es bon et ami des hommes … », sur la base de ce que Dieu nous est proche,« car Tu es mon Dieu » (Ps 142/143,10), qu’Il est la source de vie (Ps 35/36,10), « car auprès de Toi est la source de vie », et de la lumière matinale (Ps 35/36,10), « en ta lumière nous verrons la lumière ».

Cela nous ramène avec bonheur à l’exclamation initiale : « Gloire à Toi qui nous as montré la lumière. »Les paroles finales de la doxologie (Ps 35/36,11), « Étends ta miséricorde sur ceux qui Te connaissent », retentissent avec une force accrue, et nous ramènent à la première mention de la miséricorde divine.

En conclusion, dans quel esprit les chanteurs vont-ils interpréter cette doxologie ? Elle part de la Nativité du Fils de Dieu et de la paternité de Dieu, elle est illuminée de la lumière divine de la Transfiguration, elle porte dans ses accents l’Agneau qui prend le péché du monde, elle soulève l’homme de sa déchéance et aboutit à notre Rédemption dans le Christ victorieux et plein de miséricorde. Du point de vue de la forme, les chanteurs donneront à leur chant un phrasé soutenu et volontaire, à la manière dont un peintre peint une fresque monumentale. Dans son contenu, les chanteurs s’efforceront d’exprimer des sentiments de joie sobre, presque triste, à la manière d’un moine du désert, contrit et libre à la fois. Pour parler un langage de musicien, ils s’efforceront de chanter legato et sans à-coups, dans une modulation allant par endroits du mezzo-piano au mezzo-forte, sans jamais verser dans le sentimentalisme, ni dans un triomphalisme déplacé. Leur émotion doit être celle d’une joie triste et confiante.

P. Michel Fortounatto (+)

Le p. Michel Fortounatto (1931-2022) fut un spécialiste réputé de la musique liturgique dans la Tradition orthodoxe, qui a passé 45 ans à la cathédrale de Londres comme chef de choeur aux côtés de Mgr Antoine Bloom.

Source : extrait d’un cours de formation à la direction de chœur à la paroisse Saint-Serge de Paris (2008).

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