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Le canon des matines (1) : son histoire

Monastère Sainte-Marie-Madeleine (Terre Sainte). Photo : Pixabay

Avant d’aborder l’étude du canon des matines, il convient de nous arrêter un instant sur le terme même de canon. Ce mot en grec signifie règle, principe, mesure. À l’origine « canon » désignait le nombre de psaumes qu’un moine devait réciter durant la journée. Puis ce terme a été employé dans d’autres occasions. Ainsi, on parle du « canon des Écritures », pour désigner les textes de la Bible qui ont été reconnus comme vraiment inspirés (on dit canoniques). On parle aussi en Occident de canon de la messe, terme qui a été repris en Orient, où l’on emploie parfois le terme de canon eucharistique, pour désigner la partie centrale de la Divine Liturgie.

Pour ce qui est du canon des matines dont nous allons parler, il s’agit d’une vaste composition poétique qui se situe dans la seconde moitié des matines, après le psaume 50. La désignation de cette partie sous le terme de « canon » est attestée dans le plus ancien Octoèque1 connu (9e s.), mais les refrains aux cantiques bibliques qui sont à la base de cette construction étaient probablement utilisés dès le 5e siècle. Le terme même de « canon » suggère que ces refrains prescrits étaient fixes.

Canon et kondakion

L’évolution du canon des matines est assez complexe. Il faut noter tout d’abord qu’avant que sa forme ne soit définitivement fixée, une autre construction poétique avait vu le jour : le kondakion. Son auteur le plus connu est saint Romain (Romanos) le Mélode (première moitié du 6e siècle). D’origine syrienne, Romain est cependant considéré comme un auteur byzantin, mais il a certainement subi l’influence d’Éphrem le Syrien (4e siècle).

Les kondakia composés par Romain le Mélode2 sont de véritables homélies en vers.

Ils débutent par un prooïmion, une introduction ; parfois même, il y en a plusieurs. Puis suivent des strophes assez longues qui se terminent toutes par une finale identique à celle du prooïmion (par exemple : « qui es apparu et qui a tout illuminé », pour la Théophanie). Le modèle le plus proche de cette structure et qui est toujours en vigueur dans nos offices, bien que l’on doute que sa composition soit de saint Romain, est l’Hymne acathiste à la Mère de Dieu, chanté aux matines du samedi de la 5e semaine du Carême3. Le nom de prooïmion a été remplacé par kondakion (qui pour Romain désignait toute la composition). Il y a un kondakion d’introduction (celui qui aujourd’hui encore est celui de l’Annonciation : « À toi qui combats pour nous, tes serviteurs »…), puis une série de douze kondakia, suivis chacun d’un ikos (littéralement : « maison », ce qui évoque un texte construit selon certaines règles), la finale étant toujours : « Réjouis-toi, épouse inépousée ».

À part ce cas de figure, si l’on excepte toutes les nombreuses hymnes acathistes qui ont été composées bien plus tard et qui sont paraliturgiques (hymnes à sujets religieux mais non utilisés dans la liturgie), la seule trace de ces grandes compositions de Romain le Mélode qui soit restée en usage, sont les prooïmions de certaines fêtes qui portent aujourd’hui le nom de kondakion. C’est le cas de Pâques, de la Nativité de Notre Seigneur et d’autres fêtes.

Si les kondakia de Romain ne sont pas restés en usage dans leur totalité, c’est qu’ils avaient un caractère plus poétique que liturgique, à la manière des poèmes épiques de l’Antiquité.

Les cantiques bibliques à l’origine du canon

Quant au canon proprement dit, il était composé à l’origine uniquement de cantiques (c’est-à-dire de chants bibliques). L’utilisation des cantiques bibliques à l’office des matines a varié selon les lieux et les époques (que ce soit en Orient ou en Occident). Au début, on utilisait probablement un cantique par jour, puis trois cantiques : un du jour, et tous les jours le 8e, cantique des Adolescents dans la fournaise et le 9e, celui de Zacharie (à Constantinople, à Rome et à Milan) ou celui de la Vierge, le Magnificat (dans les rites syrien, arménien et en Gaule). La liste des cantiques utilisés à Alexandrie comprenait jusqu’à 14 odes : en plus de ceux que l’on utilise actuellement, il y avait la prière d’Ézéchias (Is 38,10-20), celle de Manassé (qui se trouve actuellement aux grandes Complies), celle de Syméon et l’hymne angélique (le Gloria).

Le liturgiste Antoine Baumstark pense que cette évolution du choix des cantiques était achevée au Mont Sinaï au 6e siècle4, comme en témoignent Jean et Sophrone, ce dernier devenu par la suite patriarche de Jérusalem. Pour comprendre leur origine il faut se rapporter aux vigiles de l’Antiquité chrétienne, surtout à la vigile pascale (cf. les douze prophéties de la liturgie romaine du Samedi Saint, les quinze lectures du rite byzantin et d’autres séries semblables).

Au Sinaï au 7e siècle, le chant des cantiques scripturaires se faisait sans tropaires5, mais avec le Notre Père et des Kyrie après la 3e et la 6e ode, alors que l’office palestinien connaissait des tropaires après la 7e et la 8e ode. Ces cantiques étaient chantés avec leurs refrains qui, aujourd’hui encore, sont indiqués en tête de chaque ode. Ces refrains ont souvent été intégrés dans le texte des tropaires qui, à partir du 8e siècle sont venus s’intercaler entre les versets des cantiques. Mais les refrains de ces cantiques ont progressivement cédé leur place à un verset fixe, comme « Gloire à Toi, notre Dieu, gloire à Toi ». Puis le texte biblique a été quasiment étouffé par les éléments poétiques. 

On trouve l’aboutissement de ce processus dans le canon pénitentiel de saint André de Crète (660-740), lu par séquences aux grandes complies la première semaine du Grand Carême, puis, en entier, aux matines du jeudi de la 5e semaine.

« Ainsi le canon poétique devint quelque chose de tout à fait indépendant des cantiques scripturaires et on l’introduisit à peu près dans toutes les fonctions liturgiques, même dans celles qui ne comportèrent jamais la récitation de ces cantiques. »

A. BAUMSTARK, Liturgie comparée, p. 27-28.

C’est le cas, par exemple, des complies qui intègrent parfois des canons, ou encore des canons intégrés à la règle de prière monastique ou aux prières avant la communion. Il faut ajouter, que même une fois le canon à 9 odes établi, l’usage s’est maintenu dans certains cas de n’utiliser invariablement que les odes 8 et 9, les autres odes étant réparties sur les six jours de la semaine, une par jour : le lundi 1re ode, le mardi la 2e etc., et les 6e et 7e odes le samedi. Cette pratique a donné, en semaine, les canons à 3 et 4 odes que l’on trouve encore dans le Triode de Carême. Certains auteurs affirment qu’avant que l’on en arrive à chanter toutes les odes le dimanche, on ne chantait ce jour là que la première ode et les autres étaient réparties sur les jours suivants.

À suivre…

Élie Korotkoff

Élie Korotkoff, laïc orthodoxe, spécialiste des questions liturgiques, est responsable de la Commission des traductions liturgiques de la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale.


  1. Recueil des huit tons qui se succèdent de semaine en semaine ↩︎
  2. Une édition en 5 volumes existe aux Éditions du Cerf dans la collection Sources chrétiennes. ↩︎
  3. À noter que dans cet office l’hymne acathiste est imbriquée avec un canon des matines classique. ↩︎
  4. Liturgie comparée, p. 40. ↩︎
  5. Strophes poétiques qui vont s’intercaler entre les versets du cantique. ↩︎

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