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Retrouver le chemin de la maison du Père

Photo: Xénia Cr.

L’Évangile nous dit : Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. » Cette phrase à laquelle nous sommes tellement habitués, ne pourrions-nous pas la paraphraser de la façon suivante : Père, je veux vivre ma vie ; tu es un obstacle. Tant que tu seras vivant, c’est toi qui détiendras tout ce qui peut me donner la liberté de vivre comme je l’entends. Ta vie m’est une gêne, meurs ! Parce que je veux hériter avant qu’il ne soit trop tard pour jouir. […]

N’est-ce pas là que le péché est essentiellement ? Ne nous tournons-nous pas sans cesse vers Dieu, non pas par l’arrogance de la parole, avec la naïve cruauté de ce jeune homme, mais par notre attitude intérieure, voulant à chaque instant prendre à Dieu tout ce qu’Il peut nous donner : la santé et la force du corps, les élans du cœur, l’éclat de l’intelligence : tout ce qui est nous et ce qui nous entoure, Lui prendre tout cela, en vue de l’utiliser ensuite en dehors de toute relation avec Lui ? Ne disons-nous pas implicitement : Une fois que Tu m’auras tout donné, peu importe que Tu sois ou que Tu ne sois pas, que Tu existes ou que Tu n’existes pas ? Ne commettons-nous pas ce meurtre spirituel sans cesse, lorsque nous écartons Dieu après Lui avoir tout demandé et avoir tout reçu de Lui ? Et dans les relations humaines, n’en est-il pas aussi de même ? Les enfants et les parents, les époux, les amis, les compagnons de travail ? Ne nous comportons-nous pas continuellement comme si ceux qui nous entourent n’étaient là que pour donner le produit de leur vie, alors que leur vie même n’a pour nous aucun intérêt, aucune signification ultime. Voilà où est le péché : la dépersonnalisation, la chosification de ceux qui nous entourent. Ils n’existent pas ; seul existe ce qu’ils produisent et ce qui peut être détaché d’eux, assimilé par nous, emporté au loin en vue de rendre notre vie riche et possible.[…]

Ensuite, le jeune homme quitte son père, ayant reçu de lui la part qui lui reviendrait lorsque le père serait mort. Le fils lui a demandé de n’être plus, et le père a accepté de n’être plus. Dans la perspective trinitaire, c’est un des aspects de l’amour sacrificiel de la croix. Il accepte d’être rejeté, d’être retranché, d’être réduit à néant, alors que Lui-même reste le Père, toujours fidèle, Celui que le fils prodigue retrouvera à l’instant où il voudra le chercher, là où il L’avait laissé. […]

Et le jeune homme entre dans une vie qui lui semble nouvelle, il a laissé son passé, il n’a plus qu’un présent plein d’éclat, semble-t-il, et l’avenir s’étend devant lui comme un infini. Il est entouré d’amis, il est au centre des choses, il a acquis une existence pleine d’un éclat factice […]. Puis, sa richesse s’épuise et ses amis le quittent : il reste seul et découvre qu’il n’a jamais existé pour ses amis, que ceux-ci l’ont traité de la façon dont il a traité le père : comme une source de biens ; elle s’est tarie, elle n’existe plus ! Il reste seul. Il doit survivre, il a faim, il a soif, il a froid et il se sent abandonné. Il trouve un travail qui est à la fois une humiliation et une nouvelle façon d’être dans la misère : personne ne lui donne à manger et il ne sait pas trouver sa nourriture à la façon des porcs qu’il garde. 

[…] Alors il revient à lui. Ce retour sur soi est quelque chose d’important dans la vie, parce que l’un des problèmes de la recherche de Dieu est un retour en soi qui nous permette d’aller en profondeur et de trouver Dieu au cœur même de notre être. […]

Ce retour à l’intérieur de soi doit nous amener à ce point d’émergence où nous avons découvert la vie, où nous avons connu la vie, où nous avons été vivants en Dieu avec d’autres hommes. C’est de l’intérieur de cet oasis, dans le passé, si lointain ou si proche soit-il, que nous pouvons commencer notre route, le chemin du retour avec un mot sur nos lèvres : « Père » – et non pas juge – avec cette confession de péché et cette espérance que rien n’a pu détruire, et avec la certitude que maintenant Dieu n’acceptera jamais aucun avilissement de notre part, que c’est Lui qui est le garant de notre dignité humaine, qu’à aucun moment et d’aucune façon Il ne nous permettra de devenir des esclaves alors que nous sommes appelés par la Parole créatrice et par notre vocation finale à être des fils et des filles d’adoption. Nous pouvons aller à Lui, confiants, sachant que c’est Lui qui nous a attendus alors que nous L’avions oublié ; c’est Lui qui ira à notre rencontre alors que d’un pas hésitant nous nous approchons de la maison ; c’est Lui qui nous saisira dans ses bras et pleurera sur notre misère que nous ne pouvons pas mesurer parce que nous ne savons pas d’où nous sommes tombés et combien grande est la vocation que nous avons méprisée. Nous pouvons aller à Lui sachant qu’Il nous revêtira de notre robe première, de la gloire d’Adam perdue au paradis, qu’Il nous revêtira du Christ qui est plus premier, si l’on peut dire, que la fraîcheur printanière dans laquelle nous sommes nés : Il est l’Homme tel que Dieu l’a voulu. 

Mgr Antoine Bloom (+ 2003)

Le métropolite Antoine Bloom du diocèse de Souroge, converti au Christ à l’âge de 14 ans, fut une figure spirituelle prépondérante de notre temps, qui a inlassablement proclamé l’Évangile à travers ses conférences, ses émissions de radio, ses écrits.

Source :

Ce texte est extrait du livre Étapes de la vie spirituelle, sorti en poche aux éditions des Syrtes. Avec Dieu et l’homme. La foi et le doute ainsi que Vivre la communauté chrétienne, ils sont le début d’une série de publications donnant accès à des retraites prêchées par Mgr Antoine dans les années 70.

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