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Pourquoi l’Église orthodoxe participe-t-elle au Mouvement Oecuménique ?

Photo : Pixabay

La première raison pour laquelle nous, les orthodoxes, sommes de façon évidente appelés à participer à la recherche de l’unité parmi les chrétiens et l’ensemble du genre humain, est très simple, mais en même temps pas si facile que cela. Bien sûr, nous ne pouvons pas ne pas adhérer à la prière adressée par notre Seigneur Jésus lui-même au Père : “Que tous soient un […] afin que le monde croie que tu m ’as envoyé” (Jn 17, 21). Il ne faut d’ailleurs jamais oublier la fin de ce verset : l’unité, non pas seulement pour les chrétiens entre eux, comme s’ils étaient les membres d’un club, mais pour le salut du monde, pour “la vie du monde”, comme cela est dit dans les liturgies de saint Jean Chrysostome et de saint Basile le Grand. 

Dans notre tradition liturgique, nous participons à cette prière du Seigneur, chaque fois que nous commençons l’une de nos célébrations liturgiques majeures. Dans la grande litanie, à la deuxième demande, nous prions pour l’“union de tous”.

Cette demande témoigne clairement que l’Église prie en permanence pour l’unité et, de la sorte, entre dans le cœur même du mouvement œcuménique.

Partant de là, on peut dire que le mouvement œcuménique n’est pas quelque chose de complémentaire, et par conséquent quelque chose d’apparemment secondaire, mais qu’il se rapporte à la nature profonde de l’Église. 

Il s’agit là tout simplement d’un aspect de ce que, dans une certaine mesure, j’appellerais l’obligation première qu’il y a pour les orthodoxes à prendre part au mouvement œcuménique. Il est possible de comprendre cette prière de différentes façons. Par exemple, à la manière dont le faisait l’Église catholique romaine avant le concile Vatican II, à savoir : “Les autres n’ont qu’à se convertir au catholicisme et alors l’unité des chrétiens sera rétablie”. 

Mais nous pouvons comprendre cette prière autrement. Notre tradition liturgique nous invite en effet à prier pour l’“union de tous”. Le fait est que toute prière constitue pour nous une obligation. Nous ne pouvons pas nous limiter au simple fait de prier et dire que tout le reste, l’accomplissement de la prière, est dans les mains de Dieu. Si nous prions, nous devons agir en conformité avec notre prière. Nous n’avons pas le droit d’être chrétiens seulement le samedi soir et le dimanche matin. 

Bien entendu, se pose immédiatement la question de savoir comment agir en conformité avec notre prière. Nous tous, orthodoxes, nous croyons que l’orthodoxie est la foi véritable. Sur ce point, aucun des orthodoxes qui œuvrent dans le mouvement œcuménique, par exemple au sein du COE, n’acceptera jamais le moindre compromis. Pour ma part, en presque vingt-cinq ans de travail à la commission Foi et Constitution, pas une seule fois je n’ai rencontré un orthodoxe qui, à un moment ou à un autre, aurait trahi l’enseignement orthodoxe sur quoi que ce soit. 

Donc, comment pouvons-nous concrétiser notre prière en faveur de l’unité́ visible des chrétiens, et à travers eux, l’unité de l’ensemble du genre humain et de toute la création, comme nous le demandons dans nos prières à chaque liturgie eucharistique ? En mai 1997, à Jérusalem, j’ai eu une discussion très intéressante avec l’archevêque Timothée, secrétaire du saint-synode du Patriarcat de Jérusalem. Il m’a dit la chose suivante : “Dans l’Église de Jérusalem, nous participons, malheureusement, trop peu aux contacts œcuméniques”. Ce à quoi je lui ai répondu que nous, les orthodoxes, portions pourtant une énorme responsabilité́ dans le mouvement œcuménique. Cela concerne plus particulièrement l’Église orthodoxe de Jérusalem, ai-je ajouté, que chacun ici considère comme l’Église-mère de toutes les autres communautés (cette discussion se déroulait en présence du patriarche latin de Jérusalem). L’archevêque Timothée m’a alors répondu : “Oui, nous autres, orthodoxes, nous avons de nombreux trésors très précieux. Malheureusement, nous gardons tout cela dans un coffre et ne le partageons pas. Ce n’est pas bien”. 

J’ajouterai pour ma part que, pour partager ces trésors dont on nous demande souvent de parler dans le cadre du dialogue œcuménique, par exemple au COE, et pour faire un premier pas en vue de concrétiser notre prière en faveur de la restauration de l’unité́ des chrétiens, nous avons besoin de la chose suivante : il nous faut de manière impérative et très sérieuse vérifier notre propre fidélité́ à l’orthodoxie authentique que nous confessons.

De plus, ce processus ne peut pas être accompli une fois pour toutes. C’est un processus dynamique, auquel nous devons toujours être fidèles. Nous ne devons jamais nous satisfaire en disant que nous avons tout compris et que maintenant nous pouvons simplement nous contenter de citer ce que d’autres ont dit avant nous. 

Il faut, par exemple, lire les Saints Pères sans cesse. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons assimiler l’esprit dans lequel les Pères ont reçu la révélation divine. Les œuvres des Saints Pères sont des commentaires de l’Écriture Sainte. Les Saints Pères nous invitent à suivre leur exemple. C’est pour cela que nous les appelons Pères. A travers eux, nous sommes appelés à devenir des enfants dans la foi, c’est-à-dire à croître dans la foi, à croître sans arrêt. C’est ainsi en tout cas qu’enseignait la théologie mon père Vladimir Lossky, qui considérait avec beaucoup de sérieux la participation au mouvement œcuménique et la responsabilité des orthodoxes au sein de ce mouvement. Et ce, non seulement parce qu’il vivait, qu’il communiquait en permanence et qu’il priait avec des catholiques, des anglicans et des protestants. 

En effet, nos pères, expulsés de Russie en 1922, avaient compris qu’être orthodoxes là où l’orthodoxie constitue une minuscule minorité oblige à se recentrer sur l’essence même de l’orthodoxie : “Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais” (Hb 13,8), et aussi l’Esprit Saint, “l’Esprit de Vérité vous conduira vers la vérité tout entière” (Jn 16,13), et la vérité, c’est le Christ Lui-même (Jn 14, 6). Ce recentrage sur l’essentiel oblige à distinguer en permanence ce qui est fondamental de ce qui est secondaire. 

Nos pères, en nouant ce dialogue avec les membres des autres confessions chrétiennes, ont naturellement prié avec eux, et ils nous ont introduit dans ce dialogue et dans cette prière. D’aucuns disent que l’œcuménisme est une hérésie, parce qu’il implique de prier avec des hétérodoxes. Or, prier avec des hétérodoxes, c’est comme prier avec des hérétiques, ce qui est interdit par les canons (par exemple, le canon 45 dit des Saints Apôtres). Ces personnes doivent comprendre que ces canons ne peuvent en aucun cas se rapporter au dialogue œcuménique. La raison en est très simple et tout à fait claire. À partir du moment où est engagé un dialogue dans le but de rétablir l’unité en Christ, ce dialogue est mené au nom du Christ. 

La recherche de l’unité de foi en Christ et en la Trinité (comme le stipule la charte fondatrice du COE) nous interdit de considérer nos interlocuteurs comme des hérétiques.

Les hérétiques, ce sont ceux qui insistent sur leurs faux enseignements et refusent le dialogue pour rétablir la possibilité de confesser tous ensemble la foi apostolique, c’est-à-dire la foi catholique. Mais dans le dialogue œcuménique, c’est précisément l’inverse qui se produit. Tout naturellement, un dialogue qui a pour objectif de restaurer l’unité dans la confession de la vraie foi et de restaurer une complète communion eucharistique ne peut être mené sans la prière. 

Il n’est pas possible d’identifier, par exemple, les catholiques actuels et ceux qui, lors de la croisade de 1204, pillèrent Constantinople. Les catholiques eux-mêmes considèrent cet évènement comme un grand péché dans leur histoire. La question du Filioque, en partie grâce aux discussions engagées par des théologiens orthodoxes dans les années 30 et 40, est aujourd’hui abordée de manière différente par de nombreux théologiens catholiques de ce qu’on faisait au 13e siècle ou lors du concile de Florence. Le pape lui-même, dans l’encyclique Ut unum sint, a invité les théologiens à étudier la nature de la primauté et la façon dont elle devait être pratiquée. 

En décembre 1997, à Rome, j’ai participé à un grand colloque international sur ce thème du Ministère de Pierre et unité de l’Église, les conférenciers orthodoxes ont unanimement fait référence, bien entendu, au 34e canon des Saints Apôtres et ils ont rejeté́ toute idée de juridiction universelle ainsi que d’infaillibilité papale telle que l’entend le concile Vatican I. Tout cela a été entendu non sans approbation par de nombreux cardinaux, évêques et théologiens catholiques présents. 

L’autre raison pour laquelle les orthodoxes doivent continuer à participer au mouvement œcuménique et rester membres du COE, cette “communauté d’Églises” (“fellowship of Churches”), tient au fait que, depuis le début du 20e siècle, les évêques orthodoxes ont été parmi les premiers à appeler les chrétiens à entamer le dialogue afin de rétablir l’unité. Dans leurs déclarations qui datent du début de notre siècle, est employée pour la première fois l’expression “communauté d’Églises” (qui sera par la suite à la base de la définition du COE). 

Pour nous, membres de l’Église orthodoxe russe, il est encore plus important de se souvenir qu’au début de ce siècle, le saint patriarche Tikhon, à l’époque archevêque du diocèse orthodoxe russe d’Amérique, entretenait des liens étroits, y compris des relations de prière, avec les Épiscopaliens, c’est-à- dire les anglicans des Etats-Unis. En 1905, saint Tikhon a reçu un doctorat honoris causa de la Nashotah House, le très prestigieux séminaire de théologie de l’Église épiscopalienne, situé dans le Wisconsin. En octobre 1997, j’ai séjourné moi aussi là-bas, et j’ai pu voir de mes yeux les icônes de saint Tikhon partout, dans l’église et dans la chapelle du séminaire. La mémoire de saint Tikhon est très vénérée par les professeurs et les étudiants, sans parler du doyen qui étudie le russe par amour pour l’Église orthodoxe russe. J’ai même une photographie où l’on voit l’archevêque Tikhon, en vêtements liturgiques, assister à l’ordination d’un évêque anglican. Bien entendu, il ne concélèbre pas, mais il se tient au trône et il préside. Voilà un exemple de la communion de prière avec les hétérodoxes, qui doit forcer tous ceux qui estiment que le mouvement œcuménique est une hérésie à cause de la prière avec les “hérétiques” à réfléchir. 

En conclusion je répondrai à ceux qui disent : “Mais qu’est-ce que nous apporte la participation au COE ? Ce n’est pas la peine d’y rester !”, qu’en tant qu’orthodoxes nous sommes obligés de nous poser la question dans le sens inverse : “Qu’est-ce que nous, orthodoxes, pouvons apporter au COE ?” La réponse, me semble-t-il, est à la fois très simple et très difficile, parce qu’elle constitue quelque chose qui nous oblige. Quand tous les chrétiens cherchent ensemble à retourner vers leurs sources communes, nous, orthodoxes, convaincus que ces sources sont chez nous vivantes, ne pouvons pas ne pas prendre part à cette recherche. C’est un cheminement difficile, parce que pour participer à cette recherche, nous devons nous-mêmes faire revivre les sources qui trop souvent chez nous, dans la vie réelle de notre Église, dorment sous le boisseau.

P. Nicolas Lossky (+)

Le p. Nicolas Lossky (1929-2017) fut professeur de civilisation britannique à Paris X – Nanterre, professeur d’histoire de l’Église occidentale à l’Institut Saint-Serge et membre actif au Conseil Oecuménique des Églises.

Cet article est issu d’une communication faite le 3 février 1998, à l’Académie de théologie orthodoxe de Moscou (Laure Saint-Serge), lors de la visite d’une délégation du Conseil Oecuménique des Églises à l’Église orthodoxe en Russie. L’article est paru dans le SOP.

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