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Plaidoyer pour des images vivantes

Photo : Jade Stephens/Unsplash

Vous avez remarqué ? Les images générées par « Intelligence Artificielle » envahissent les écrans. Midjourney, Dall-E, Adobe Firefly, etc. sont les petits noms des logiciels qui les ont générées, selon un mode simple : un opérateur (humain) entre une description, comme « chien jouant dans un pré fleuri » et, à l’issue d’une série de calculs probabilistes et complexes, le logiciel renvoie une ou plusieurs images, créées ad hoc. Ces images, qui peuvent facilement prendre l’apparence d’une photographie, on les retrouve comme illustrations dans ces publicités bas de gamme, trouvées partout sur Internet (« Une mutuelle pour les seniors ! »), mais aussi en accompagnement d’improbables publications Facebook (« Voici un enfant africain qui a bâti de ses mains cette statue hyper-réaliste et grandeur nature de Jésus en sable »… 16.000 likes ! Pourquoi ? Dans quel but ?) De plus en plus, on retrouve aussi ces images comme illustration principale de publications moins « low cost », voire d’articles de journaux. J’en ai même repéré une en couverture d’un hebdomadaire chrétien de grande diffusion, et ça n’était pas pour un numéro « spécial IA »…

Comment les reconnaître avec certitude ?
Qu’elle feigne d’être une photographie, ou de provenir d’une autre technique (on peut tout à fait rajouter « à la façon d’un Manga » ou bien « dans le style d’une illustration publicitaire des années 60 » à sa commande), l’image générée par IA a, pour l’instant encore, un petit quelque chose qui trouble l’œil. En découvrant l’image, on se dit « elle est étrange. » C’est parfois un éclairage un peu iréel qui nous a arrêté. Il faut alors se forcer à l’observer plus de dix secondes, action certes inhabituelle dans un monde où tout défile sans s’arrêter. Faites l’exercice : en vous arrêtant un instant sur une image générée par IA, vous verrez rapidement aparaître un premier défaut : problème de proportion, angle impossible, trop de doigts sur une main, peau trop lisse ayant l’apparence du plastique, problème de netteté et de flou… Et puis, en prolongeant cette observation attentive, vous verrez apparaître un second défaut, puis un troisième, etc. Dans le film Inception de Christopher Nolan, le héros, interprété par DiCaprio, déclare : « Les rêves ont l’air vrais, tant que vous êtes dedans. Ca n’est que lorsque vous vous réveillez que vous réalisez qu’il y avait quelque chose de bizarre. » De même, les images par IA ont l’air « vraies » si on passe dessus rapidement, mais les observer attentivement les dévoile, et fait l’effet d’un réveil. Un réveil d’un bien mauvais rêve.

Pourquoi c’est un problème ?
« Pas très grave », « Il faut vivre avec son temps » voire « Il y en a de très belles » ou bien « c’est une technique de création parmi d’autres », me direz-vous. Eh bien non, je ne suis pas d’accord. Depuis très longtemps, l’homme créée des images avec son intelligence, avec son cœur, mais aussi avec son corps. Le peintre utilise un pinceau, de la peinture, et sa main, merveille indépassable de la création. Le photographe utilise certes un appareil technique très perfectionné, mais aussi son corps pour se déplacer, et son œil pour regarder, pour voir, pour décider de déclencher. Même l’infographiste qui crée avec Photoshop « garde la main » en contrôlant l’outil, en déplaçant la souris ou le stylet avec finesse, en convoquant à tout instant de la création un œil affuté. Dans l’image par IA, pas de corps. L’ensemble de la tâche de la création est sous-traité à une machine, à un super-calculateur. Pour revenir aux photographies principalement remplacées aujourd’hui par des images par IA, les photographies « de stock » : même dans ces photos peu artistiques, produites en série en vendues à bas coût dans des banques de données, il y a de la vie : la vie du comédien qui, pour arrondir ses fins de mois, pose en jeune cadre dynamique et souriant dans diverses postures de travail, la vie du photographe, la vie de la nature, de cette fleur prise en gros plan sous tous ses angles : tout cela transparaît dans l’œuvre finale. Créée par l’homme, la plus banale image est habitée. Dans une image par IA, en revanche, il n’y a pas de vie. Les images par IA sont des images mortes. Oui, cela me semble un problème de diffuser, largement et massivement, des images mortes qui prennent l’apparence de la vie. Je crains que cela n’augmente une confusion entre vie et mort déjà largement présente dans notre société.

Que faire ?
Je ne sais pas trop, à vrai dire. Nous n’arrêterons pas les progrès – techniques – de l’IA, et rien ne pourra empêcher l’utilisation toujours plus large de ces outils. Cependant, on peut déjà, si on est soi-même utilisateur et diffuseur d’image – et le moindre participant à un réseau social est, déjà, un diffuseur d’image – refuser les images par IA, quand on les repère. Pour ma part, je pousse le bouchon jusqu’à signaler, ici à telle newsletter, là à tel journal ou site web, qu’il utilise une image par IA. Même si je ne le fais que lorsque j’ai des raisons de penser que ledit diffuseur pourrait avoir une éthique à ce sujet, je suis conscient de mener un combat perdu d’avance : même si c’est contre des moulins à vent, tel Don Quichotte, je me bats ! Enfin, et à plus long terme, une action essentielle et à la portée de tous est celle-ci : se former, et former nos enfants, à une authentique culture de l’image. Techniques de dessin, peinture, apprentissage des fondamentaux et pratique de la photographie, utilisation basique des logiciels de création d’image, montage vidéo, tout cela devrait, aujourd’hui, faire partie intégrante d’une éducation humaine, voire d’une formation scolaire se voulant intégrale.

Par essence, l’acte de créer est ce qui nous relie au Créateur de toutes choses : abandonner la création (d’images, mais aussi de textes, de musique, etc.) à une machine, c’est se couper de cette source et risquer de mettre en péril notre propre humanité. Vivent les images vivantes !

Paul de Vulpillières

PS : Cette tribune n’a pas été écrite par ChatGPT.

Ingénieur de formation passé par la production audiovisuelle, Paul de Vulpillières est auteur et scénariste de bande-dessinées. Il est notamment l’auteur de L’aventure domestique et Aux confins du monde intérieur, et le scénariste de Carlo Acutis, En route vers le ciel (éd. Emmanuel).

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