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Jeûne et métanoia écologique

Photo : Pixabay

Au moment où les chrétiens orthodoxes se préparent à Pâques en jeûnant pendant le Carême, nous devrions nous interroger sur la manière dont cette pratique, en plus d’être une source de renouveau spirituel, peut servir de source de transformation sociale et de restauration écologique. Afin de mitiger les effets des crises écologiques auxquelles nous sommes actuellement confrontés, le patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople, connu depuis longtemps sous le nom de patriarche vert, nous demande :

« non pas une plus grande compétence technologique, mais un repentir plus profond, une métanoïa, au sens littéral du mot grec, qui signifie un profond changement d’esprit et une transformation radicale de notre mode de vie. En mettant l’accent sur la consommation, je crois que la pratique chrétienne orthodoxe du jeûne est un domaine où l’orthodoxie peut entrer en dialogue avec le courant émergeant de l’éthique alimentaire et commencer à mettre en œuvre la « transformation radicale du mode de vie » » (…).

Mais qu’est-ce que le jeûne et quel est son but ? Dans le christianisme orthodoxe, le jeûne consiste à s’abstenir de consommer la plupart des produits animaux, y compris la viande, la volaille, le poisson et les produits laitiers. Il est considéré comme une ascèse, un exercice spirituel, qui touche aux aspects biologiques, psychologiques, spirituels et sociaux de notre identité en tant que personnes et communautés. Saint Basile le Grand a qualifié le jeûne d’exercice de continence qui doit être pratiqué en commun et qui doit contribuer au bien-être de toute la communauté. En plus de cultiver les vertus de tempérance et de prudence aux niveaux personnel et communautaire, le jeûne a également d’énormes conséquences bénéfiques sur le plan écologique. En tant que tel, le jeûne peut être considéré comme un moyen de réaliser les formes de métanoïa écologique que le patriarche Bartholomée nous invite à mettre en œuvre.

Mais pourquoi se concentrer sur l’éthique de l’alimentation ? (…) L’agriculture a succombé aux pressions du modèle économique néolibéral actuel, obsédé par la spécialisation à outrance et la croissance insatiable. En conséquence, l’agriculture industrielle a transformé l’agriculture, d’une activité qui consiste à permettre la vie, en une activité qui contribue aujourd’hui fortement aux crises écologiques auxquelles nous sommes confrontés. L’agriculture est l’un des plus grands producteurs d’émissions de carbone, dépassant de loin les émissions automobiles, en raison de l’utilisation de machines lourdes et de mauvaises pratiques de gestion des terres ; c’est une industrie qui détériore la qualité des sols en raison d’un manque de diversité des cultures et de pratiques de labour excessives ; elle contribue à la désertification et à la déforestation en transformant des terres forestières en exploitations agricoles. (…)

Par exemple, l’industrie agricole surproduit des cultures telles que le maïs et le sucre afin de les ajouter inutilement à des denrées alimentaires telles que le pain et les tomates en conserve, à la demande de groupes de pression représentant ces industries. Non seulement ces pratiques sont néfastes pour la santé humaine, mais elles ont considérablement réduit la diversité des cultures au cours des cent dernières années, ce qui a entraîné une érosion généralisée de la couche arable et un appauvrissement à grande échelle des nutriments contenus dans les sols concernés, ce qui a considérablement réduit la fertilité de ces terres. Si l’on ajoute à cela le labour excessif de la couche superficielle du sol et l’utilisation à outrance d’engrais chimiques puissants, il devient facile de comprendre pourquoi l’agriculture industrielle en monoculture est l’un des principaux responsables des crises écologiques que nous connaissons actuellement.

Ce qui est arrivé à la filière agricole traditionnelle est bien triste, car l’agriculture est une profession que saint Basile considérait comme la plus noble de toutes, puisqu’elle procure le nécessaire à la vie. (…) L’agriculture n’est plus une pratique qui contribue réellement à la prospérité et à une meilleure prise en charge au niveau local, car elle est passée de projet de développement communautaire à un instrument de production alimentaire au service du système capitaliste mondial. Cela n’est nulle part plus évident que dans le cas de la production de viande. Les grandes entreprises de production alimentaire ne cessent de créer des exploitations d’alimentation animale concentrée, familièrement appelées fermes industrielles, afin de produire suffisamment de viande, souvent du bœuf, pour répondre à la demande mondiale croissante résultant de la prolifération du régime alimentaire occidental ou américain et du mode de vie consumériste excessif de la modernité, qui contribuent tous deux de manière significative à la dégradation de l’environnement. La restauration de la santé physique et écologique et de la vitalité des écosystèmes dégradés peut être partiellement atteinte grâce à des périodes de jeûne régulières et collectives au cours desquelles les gens s’abstiennent d’aliments particuliers et font du jeûne une ascèse régénérative, orientée vers la vie, qui engage les aspects écologiques et sociaux de ce que nous sommes à la fois en tant que personnes individuelles et en tant que communautés. (…)

Outre le changement socio-écologique, le jeûne et les périodes d’alimentation plus simples et plus réfléchies nous permettent de mieux apprécier la valeur de la nourriture elle-même et de mieux nous préparer à respecter la source de la Vie.

C’est pourquoi il est si important pour les chrétiens orthodoxes de se procurer des aliments cultivés de manière bio-dynamique afin que, par nos pratiques de consommation, nous contribuions perpétuellement à la régénération et au renouvellement de la vie plutôt que de devenir complices de la destruction, de la mort et de la maladie des écosystèmes et de la multitude de créatures qui les habitent. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’agriculture biologique, car ce type d’agriculture entièrement biologique et sans labour, qui n’utilise ni produits chimiques toxiques ni traitement agressif des sols, se révèle efficace pour restaurer la vitalité productive des terres qui ont connu la dégradation de la fertilité des sols.            

Alors que nous nous trouvons à nouveau dans cette grande et sainte saison du Carême, où nous réfléchissons à nos choix alimentaires, quel meilleur moyen de préparer et d’anticiper la sainte Résurrection à Pâques, que d’essayer de mettre en œuvre des modes de consommation qui contribuent directement à la régénération et au renouvellement des écosystèmes d’où nous tirons notre nourriture vitale ?

Chris Durante

Chris Durante est professeur agrégé de théologie à l’université Saint Peter’s dans le New Jersey, aux États-Unis. Il a participé à l’initiative Science-Engaged Theology de la Fondation John Templeton, où il a travaillé sur le développement d’une écologique chrétienne orthodoxe engagée et d’une éthique en rapport avec cette théologie.

Le texte complet de l’article peut être lu ici : https://publicorthodoxy.org/2024/03/15/fasting-and-the-food-industry/

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