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Donner la mort, sauver des vies : le médecin face à l’euthanasie

Photo : V. Agassant

Comment les médecins perçoivent-ils leur rôle face à la fin de vie et l’euthanasie ? Y-a-t-il une procédure spécifique ? Qui décide ? Comment leur foi orthodoxe influence leur actes et leur regards ?

Le Sycomore est allé à la rencontre de deux étudiants en médecine. Yoann est en 9e année et se prépare à être médecin généraliste. Élisabeth est en 6e année et souhaite s’orienter vers la réanimation. Ils partagent ensemble leurs points de vue sur l’euthanasie.

Le Sycomore : En tant que jeunes et futurs médecins, comment voyez-vous les évolutions que la loi pourrait connaitre sur l’euthanasie et la fin de vie ?

Yoann : Le projet de loi souhaite donner aux patients la possibilité de recourir à l’euthanasie dans le cas où ils seraient atteints de pathologies graves et incurables, sans faire appel à des professionnels qui viendraient traiter le fond de la demande. Or, ce qu’on constate, c’est que très souvent cette demande n’exprime pas un réel souhait de mourir mais plutôt un appel qui montre une souffrance physique, mentale, qui témoigne d’une solitude et d’un désespoir qui s’installent, par exemple chez les personnes âgées. C’est par manque d’amour que ces patients expriment le souhait de mourir.On est face à des personnes qui se sentent seules et qui, devant l’absence de réponse de la famille, des médecins, et par manque de ressources intérieures, demandent à mourir. Une collègue en soins palliatifs partageait avec moi le fait que souvent, lorsqu’on traite la problématique sous-jacente au désir de mourir, en s’appuyant sur un réseau de bénévoles, de psychologues, de soignants, tout en aidant à renouer le lien avec la famille, la demande de mort se résout.

Ce qu’on observe des évolutions successives des lois concernant le domaine bioéthique, c’est qu’on ne protège plus le vivant, qui semble devenir une marchandise comme une autre. Les extrêmes de la vie, du fœtus au patient très âgé, sont de moins en moins protégés par la loi. La vieillesse représenterait une « vie résiduelle » qui coûte de l’argent. Il y a donc aussi toute une question financière au débat sur la fin de vie et l’euthanasie. Les services de soins palliatifs, par exemple, ne sont pas assez répandus sur le territoire et leur accès est très restreint par manque de lits disponibles : ils représentent un coût. La loi actuelle représente un garde-fou, elle oblige à trouver des solutions à l’euthanasie. Le jour où ce verrou sautera, que se passera-t-il ? Avec la libéralisation du système, la disparition progressive de l’État-Providence, les soins pourraient être de moins en moins remboursés : cela introduirait chez les personnes les plus fragiles ayant des soins coûteux, une culpabilité à être notamment une charge financière pour leurs proches… Changer cette loi, c’est aussi risquer d’enfreindre le serment modifié d’Hippocrate « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément », que chaque médecin a prononcé lors de sa soutenance de thèse.

Ce que je constate, c’est qu’il y a une dichotomie entre la loi qui peut pousser les gens dans l’abîme en ouvrant la porte à l’euthanasie, et la réalité des centres palliatifs qui permettent à beaucoup de patient de vivre une fin de vie paisible et calme, entourée de soignants et de bénévoles attentifs. Il y a un divorce entre la loi et les initiatives locales, entre la loi et le citoyen-médecin qui cherche à aider l’autre.

Photo : Xénia Cr.

Le Sycomore : Comment est abordée cette question de la fin de vie dans votre formation de médecin ?

Yoann : On dispose d’un référentiel (un livre) sur la fin de vie et les soins palliatifs, mais cela reste très médical, technique : comment soulager la douleur, etc.

Élisabeth : Oui, il n’y a pas d’atelier ou de cours dédié pour la préparation des patients à la mort ou des soins palliatifs. L’accompagnement psychologique n’est pas vraiment abordé ; on compte beaucoup sur les équipes paramédicales. Finalement, c’est en stage qu’on apprend principalement, sur le tas, en voyant faire. Chaque situation est différente, on n’agit pas de la même manière selon s’il s’agit d’une maladie chronique ou fulgurante par exemple. En tant qu’étudiant, on prend exemple sur des soignants qu’on admire et dont on considère l’attitude juste. La formation commence un peu à changer : il été introduit des évaluations orales au cours desquelles les étudiants simulent des annonces de diagnostic aux patients par exemple. Cette question d’accompagnement personnalisé va donc mieux prendre sa place dans la formation des étudiants.

Le Sycomore : Concrètement, comment appréhendez-vous cette question dans l’exercice de votre métier ?

Yoann : J’essaye, en tant que médecin, de me tenir prêt à toute éventualité dans mon travail, y compris celle d’accompagner une fin de vie. La mort, à l’hôpital et en tant que médecin, c’est une possibilité de chaque instant. Il faut se tenir prêt à écouter toute souffrance et à tenter d’y répondre. Il faut s’efforcer de prévenir et d’anticiper au maximum ce qui pourrait plonger la personne dans le désespoir, faisant le lit de pensées morbides. Si une personne exprime une demande d’euthanasie, nous effectuons des entretiens longs et répétés si besoin, pour comprendre les raisons à l’origine de ce désir. Cela permet parfois de mettre en lumière de nombreuses problématiques auxquelles nous tentons d’apporter des réponses.

Élisabeth : Dans la question de la fin de vie, il y a aussi la question de la limitation des soins, qui peut parfois rappeler une forme d’euthanasie. C’est une énorme responsabilité et cela peut être difficile pour le soignant de suivre les décisions collégiales de ne pas faire un soin afin d’éviter l’acharnement thérapeutique. Je me souviens notamment d’un cas, où devant la gravité et le pronostic d’une maladie, l’équipe médicale avait décidé la limitation des soins, ce qui concrètement voulait dire ne pas mettre plus d’oxygène en cas d’aggravation. Je voyais les constantes vitales descendre et c’était tellement étrange de ne pas tourner le bouton pour envoyer de l’oxygène et remonter les constantes vitales. Techniquement, on pouvait continuer à faire vivre cette personne quelques heures de plus ou quelques jours de plus, il suffisait de tourner le bouton. Mais nous avons seulement laissé la personne s’éteindre toute seule.

Yoann : Actuellement les décisions de fin de vie sont prises collégialement par une équipe et la responsabilité n’est pas portée par la famille ni par le patient, ni par un soignant isolément. Dans certains cas, le médecin peut, dans le cadre de l’urgence, ne pas tenir compte des directives anticipées. La situation est bien sûr à nouveau reconsidérée, à la lumière de la volonté du patient, lorsque la situation est stabilisée.

Élisabeth : La question de la fin de vie se pose aussi chez les personnes en situation de handicap. Il y a parfois une volonté de mourir chez des jeunes personnes lourdement handicapées. Mais souvent, un bon accompagnement leur permet d’être heureux de vivre. Le problème, c’est que cet accompagnement est mis en place à l’échelle personnelle et n’est pas suffisamment valorisé à l’échelle politique et à l’échelle d’un établissement hospitalier.

Yoann : C’est parce que les dotations financières d’un hôpital vont dépendre du nombre d’opérations réalisées, des imageries, etc. L’accompagnement effectué par le personnel soignant n’est pas du tout « chiffré », comptabilisé, valorisé. Ça repose de plus en plus sur l’implication du soignant, par manque d’effectifs, d’investissements. La part du soignant devient encore plus importante, ce qui implique une charge et une responsabilité de plus pour lui.

Le Sycomore : Et en tant que médecins orthodoxes, comment votre foi vient-elle alimenter votre attitude et vos réflexions sur la fin de vie ?

Yoann : Et bien, rappelons déjà qu’à chaque office, nous prions et réaffirmons que nous devons aider notre prochain qui souffre et que Dieu seul peut reprendre la vie. Nous prions pour les malades, les mourants, les victimes de guerres ou de cataclysmes naturels.

Élisabeth : Ce que je trouve difficile de mon côté, c’est qu’étant dans un pays laïque, nous n’avons pas de légitimité à parler de religion à l’hôpital. Ce n’est pas évident pour moi de voir des patients partir sans pouvoir leur proposer d’accompagnement spirituel, comme on le fait avec ses proches.

Yoann : L’exigence que je me suis imposé, de mon côté, c’est de demander à la famille ou à la personne s’ils sont croyants, pour faire venir des religieux.

Élisabeth : J’ai peur ce que ce soit connoté : « appeler le prêtre » = « je vais mourir ». Alors que ce n’est pas forcément le cas… Parfois, cela signifie à nouveau une prise d’initiative de la part du soignant. Une fois, lorsque j’étais en réanimation, il y avait un patient géorgien, venu en France pour un cancer compliqué : il était venu seul, sans famille. Je pouvais un peu communiquer avec lui en russe, il avait une croix. A un moment donné – l’état du patient empirait –, je me suis posé la question : est-ce que j’appelle le prêtre géorgien, si son fils n’arrive pas à venir ? Techniquement, ce n’était pas mon rôle. J’étais soulagée d’apprendre le lendemain que son fils pouvait venir dans les heures suivantes.

Photo: V. Agassant.

Le Sycomore : Pour conclure, pourriez-vous nous dire comment, selon vous, l’Église orthodoxe pourrait participer et aider les soignants et les patients face à cette question de la fin de vie ?

Élisabeth : Il faut que les gens fassent du bénévolat ! Dans ma paroisse, un jeune s’est retrouvé en réanimation, suivi d’une hospitalisation assez longue. Des paroissiens et des amis ont mis en place des tours pour aller le voir, lui rendre visite, l’aider, lui apporter du réconfort moral, alimentaire, des livres, etc. Ce serait bien que les paroisses mettent en place ce genre d’initiatives de manière plus systématique et se soient préparées en amont, afin que les gens ne se retrouvent pas seuls et abandonnés. On peut se mettre d’accord avec des EHPAD chrétiennes ou non, développer l’aumônerie bénévole, faire des concerts dans des établissements médicaux ou des EHPAD, proposer des temps de lecture de la Bible, aller auprès des personnes qui ne peuvent pas se déplacer.

Tout comme il y a un secrétaire, un trésorier dans les associations ou une personne en charge du café paroissial, on pourrait imaginer une personne responsable du suivi des malades. Au lieu de tout faire reposer sur le prêtre, une personne désignée pourrait être appelée ou prendre le relais du prêtre dans ce genre de situation afin d’organiser un accompagnement ajusté aux souhaits de la personne. Même dans une église, on peut se sentir très seul ; demander de l’aide devient alors difficile. C’est essentiel que les paroisses s’associent à ces initiatives et deviennent des relais et des lieux de refuge.

Merci à Yoann et Elisabeth d’avoir accepté de témoigner pour le Sycomore.

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