Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Création vs évolution, science vs religion : quel rapport ? (2)

Photo: Xénia Cr.

Cet article poursuit les réflexions engagées par une professeur de religion en Belgique sur la manière dont comprendre les textes de la Genèse sur la Création face à la vision contemporaine qui peut les opposer à la science. Vous pouvez lire la première partie de l’article ici.

L’évolution de la vie et de l’homme : un modèle scientifique de connaissance

La théorie de l’évolution se réfère au plan matériel du développement de la vie sur la terre. Elle est étayée par des recherches approfondies et se base sur des faits matériels, vérifiables par l’expérience et qui sont susceptibles d’être complétés par les recherches futures. Certains ont l’arrogance de rejeter en bloc ce travail, au nom d’une lecture superficielle des Saintes Écritures.

Si on poursuit une exégèse théologique, non littérale des textes, cette théorie scientifique n’est pas incompatible avec la doctrine chrétienne sur la création. Tout ce qui n’est pas du domaine matériel n’entre pas dans le champ d’investigation de la science. Ainsi, la question de la création par un Dieu non matériel n’est pas une compétence de la recherche scientifique. Si certains chercheurs, enseignants ou vulgarisateurs mêlent des affirmations d’ordre théologique à leur analyse scientifique des faits, cela relève du domaine non pas de la science mais du scientisme, c’est à dire d’une conviction philosophique qui attribue à cette voie de connaissance la compétence de connaissance unique et absolue.

Pour faire réfléchir sur la différence et la complémentarité de la théologie et de la science, on peut utiliser des extraits des BDs de la série Les indices pensables de Brunor. Quoi que concordistes par endroits, elles font comprendre de façon imagée et ludique cette complémentarité. Brunor distingue très clairement les conceptions philosophiques des résultats de la recherche scientifique. Il imagine par exemple un scientifique invité à la télévision, à qui on demande de faire cette distinction, et qui enlève son blouson blanc chaque fois qu’il exprime une conception philosophique et le remet pour rappeler les résultats des recherches scientifiques.

Sur le plan matériel qui est le sien, la science explique le développement imprévisible de la matière inerte par l’apparition spontanée de l’information contenue dans le code génétique. Ce code utilise le même « alphabet » depuis les commencements de la vie, il y a à peu près 3,5 milliards d’années. Du protozoaire jusqu’à l’homme, l’information n’a pas cessé de se complexifier. Les théories scientifiques expliquent ce phénomène d’évolution du simple au complexe par les erreurs de copie et le hasard des mutations, qui se perpétuent par la sélection naturelle.

La théologie, qui perçoit le monde matériel dans sa relation avec son créateur et qui parle de la présence d’un sens spirituel derrière les choses matérielles « visibles », ne peut pas accepter l’exhaustivité de cette explication. Mais celle-ci reste plausible comme modèle si on se maintient sur le plan purement physique en excluant toute métaphysique de cette problématique. Ce phénomène de l’évolution de l’information génétique est toutefois pour le moins étonnant et, du point de vue philosophique, digne de notre émerveillement. Les élèves devraient donc être encouragés à regarder les études scientifiques comme une source de connaissance qui ouvrent plus de perspectives au croyant sur le monde créé par Dieu.

Car il n’est pas intéressant, à mon avis, de regarder la science et la révélation biblique comme des mondes tout à fait parallèles, des domaines qui s’exclueraient mutuellement. La théologie de la création, du point de vue chrétien, a une portée plus large que le plan matériel. Elle englobe dans sa vision « toutes les choses visibles et invisibles», comme l’a formulé le credo de Nicée-Constantinople, ou « le ciel et la terre », d’après Genèse 1,1. Il y a donc une interférence entre la théologie et la science . La lecture théologique de la Genèse devrait tenir compte des connaissances scientifiques actuelles, sans pour autant dépendre d’elles.

Énergies incréés et création continuelle

Avec les élèves plus âgés et plus motivés, il serait possible d’aller plus loin dans la réflexion afin d’ouvrir leur esprit aux possibles intersections entre science et théologie.

La théologie orthodoxe ne voit pas la nature comme une entité séparée de son créateur. La doctrine des « énergies incréées », la présence mystérieuse de Dieu dans sa création, pourrait aider à ouvrir une compréhension du paradoxe d’une évolution du vivant sans cause extérieure apparente, d’une part, et d’une création continuelle, d’autre part. Dieu a en même temps initié les lois de la nature et posé les « semences du Logos » (ce que saint Maxime le Confesseur appelait « les logoï ») au commencement, et continue à accompagner cette évolution-création tout en se gardant d’une intervention trop directe (ce serait une manière d’interpréter « le 7ème jour », le « repos » de Dieu). Cette présence-absence active-inactive de Dieu dans sa création relève d’une antinomie, elle dépasse le plan rationnel et ne peut pas être systématisée dans une théorie qui vise à être scientifique, comme le « dessein intelligent » élaboré par certains penseurs chrétiens.

Mais comment expliquer ou faire deviner ces idées aux élèves ?

On pourrait d’abord leur poser la question : que dire des hommes qui naissent tous les jours sur la terre ? Dieu ne participerait-il pas à leur création, ou sont-il seulement des produits de la reproduction sur le plan purement biologique?

On pourrait aussi se baser sur le récit de la Genèse pour rappeler que, tout comme l’homme qui – lui – est fait à l’image de Dieu, les autres œuvres sont créées par la parole de Dieu (« Dieu dit… »). Cette parole est comme une semence (on peut rappeler la parabole du semeur, Mt 13,1-23) qui reste ancrée dans chaque œuvre de Dieu et continue à la faire vivre, donc, aussi, muter, « évoluer ».

Une autre manière d’exprimer l’idée de présence créatrice et mystérieuse de Dieu au milieu du procès évolutif décrit par la science est l’image intuitive d’un «ADN invisible » (ou du côté invisible de l’ADN), un code secret et mystérieux qui agirait de l’intérieur, comme l’ADN codifié par les molécules informe le vivant sur le plan matériel.

Ce sont là des images, qu’on se gardera de transformer en système de pensée. Il serait également approprié de se garder du concordisme, c’est à dire du désir d’adapter la formulation théologique à chaque nouvelle découverte scientifique. La science et la religion sont deux formes de connaissance différentes, et les relations entre elles sont et restent très complexes.

L’idée principale à transmettre est, à mon avis, l’enseignement théologique selon lequel notre monde ne devrait pas être compris comme un système fermé sur lui même. Il est transparent aux réalités spirituelles « invisibles » qui l’entourent et renvoie constamment à Dieu, celui qui l’a créé et qui l’habite.

Conclusion

Je suis consciente du caractère un peu simpliste de certaines distinctions. Peut-on toujours distinguer rigoureusement recherche et observation scientifique de la conception philosophique ? Car une recherche sans une certaine idéologie ou au moins sans certaines idées sous-jacentes n’existe sans-doute pas. Et d’un autre côté, comment parler de langage symbolique des Écritures sans donner l’impression de surinterpréter le texte, et comment expliquer cela sans blesser la foi de certains, sans faire penser qu’on nie la vérité des Écritures ? Il faudrait bien sûr approfondir le sens de ce qu’on entend par « vérité » et par « inspiration » et initier les élèves aux différentes formes et images narratives, comme je le proposais plus haut. Et enfin, j’ai exclu de ce texte la question de la Chute et du mal, qui ajoute encore une dimension au débat.

Il n’y a pas une seule méthode pour cela. Reste beaucoup de place pour la créativité et l’ouverture de l’enseignant, avec d’autres supports et images pour ouvrir l’esprit des élèves et les encourager à approfondir cette question par eux mêmes.

En résumé, nous espérons que ces réflexions permettront de :

  • Sensibiliser les élèves et lecteurs à une lecture plus profonde, plus subtile des Saintes Écritures.
  • Déconstruire les préjugés quant à la non-compatibilité entre science et foi/théologie.
  • Aider les élèves et lecteurs à s’ouvrir à la transparence et au langage mystérieux de notre monde.

Cette ouverture peut se faire aussi bien par la connaissance et la recherche scientifique que par l’approfondissement des textes bibliques et littéraires, et par l’observation émerveillée du monde qui nous entoure.

Alexandra de Moffarts

Docteur en linguistique, Alexandra de Moffarts est enseignante de religion dans les écoles, en Belgique, ainsi qu’à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Jean (Bruxelles).

Bibliographie, pour aller plus loin :

  • Brunor, Les indices pensables, Brunor éditions, série des BDs parus entre 2009 et 2016.
  • Feldman, Theodore, « Creation, Faith, and Science », The Wheel issue 11, 2017.
  • Khavalkov, Eugène, « Livre de la Genèse, enseignement patristique sur la création et indépendance des savoirs », Contacts N 262 (Avril-Juin 2018), p. 153-200.
  • Knight, Christopher, Science and the Christian Faith: A Guide for the Perplexed, Foundations Series, 2021.
  • Lossky, Vladimir, Théologie dogmatique, fascicule de la FTC, les chapitres sur la création.
  • Puhalo, Lazar, « Faith and Sience : Models of Reality as Sources of Conflict », The Wheel issue 11, 2017.
  • Costache, Doru, « The Orthodox Doctrine of Creation in the Age of Science », Journal of Orthodox Christian Studies 2.1, 43-64, 2019, John Hopkins University Press.
Mission News Theme by Compete Themes.