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Clément de Rome : l’Église, un ensemble d’Églises-sœurs

Détail extérieur de l'église du monastère de Solan, Gard. Photo : V. Agassant.

Saint Clément de Rome a écrit une lettre aux chrétiens de Corinthe, probablement en l’an 95, c’est-à-dire à peu près à l’époque de la mort de l’évangéliste saint Jean, ou quelques années avant. Nous nous trouvons exactement au point de jonction entre la génération des apôtres, qui viennent de mourir, et l’organisation de l’Église ancienne, immédiatement après leur mort. C’est bien la première génération des Pères de l’Église. Ces textes vont donc nous donner une image de l’Église telle qu’elle était tout-à-fait à ses débuts. 

L’Église de Corinthe, celle à laquelle l’apôtre Paul avait écrit ses deux épîtres aux Corinthiens aux environs de l’an 57 ou 58, traversait une crise grave, puisqu’il s’agissait d’une sorte de sédition, de révolte des chrétiens de Corinthe contre leurs anciens (aujourd’hui nous dirions contre le clergé). 

Un ensemble d’Églises-sœurs 

Clément, l’un des tous premiers papes de Rome, n’intitule pas sa lettre « Clément, évêque de Rome, aux chrétiens de Corinthe » (ce qui serait du style d’aujourd’hui), il commence sa lettre en disant : « L’Église de Dieu qui séjourne à Rome à l’Église de Dieu qui séjourne à Corinthe ». En d’autres mots, Clément n’écrit pas en tant que pape – cette notion n’existe apparemment pas encore dans l’Église – il écrit en temps que représentant de l’Église locale de Rome, il ne cite même pas son nom (ce n’est que par des écrivains un peu plus tardifs que nous savons qu’il est l’auteur de cette lettre). Il écrit au nom de son Église et cette Église de Rome écrit à l’Église-sœur de Corinthe. 

Nous voyons le contexte : la chrétienté est constituée d’Églises locales, d’Églises-sœurs, et voilà que deux Églises relativement voisines correspondent l’une avec l’autre. Rome, la plus prestigieuse des Églises, celle qui conserve encore tout frais à sa mémoire le martyre des apôtres Pierre et Paul, survenu à peine une trentaine d’années avant la lettre de Clément, écrit donc à l’Église-sœur de Corinthe pour lui donner des conseils. Notons ce premier point : la structure de l’Église primitive est un ensemble d’Églises-sœurs. 

Saint Ignace d’Antioche nous précisera la place de l’Église de Rome au sein de ce concert d’Églises-sœurs lorsqu’il nous dira que c’est elle qui « préside dans la charité » à l’ensemble des Églises-sœurs. Elle n’en est pas moins une parmi les autres. Et cependant c’est une unique Église car l’Église de Dieu toute entière séjourne, est de passage, en exil, à Rome comme à Corinthe, comme en chaque autre lieu. 

Chaque Église est en quelque sorte un point d’insertion local de l’unique Église de Dieu dans le monde, dont le lieu, dont la vraie patrie, est au ciel. Et cette unique Église de Dieu, dont la patrie est au ciel, est en exil provisoire tant à Rome qu’à Corinthe qu’en chaque autre lieu. Voilà qui nous situe bien l’ecclésiologie de l’Église primitive qui, dans une certaine mesure, est encore aujourd’hui l’ecclésiologie de l’Église orthodoxe. 

La prolongation du message apostolique 

Clément commence par décrire, en détails, avec de nombreuses citations de l’Écriture sainte, les méfaits de la jalousie qui est à l’origine de tous les schismes et de tous les troubles dans l’Église. Il s’étend longuement en évoquant le souvenir de la jalousie de Caïn, de celle des frères de Joseph, des fils de Jacob. Ensuite, il souligne la nécessité de l’humilité, vertu clef pour la vie, l’harmonie, la concorde (il aime ce mot) dans l’Église, puis la nécessité du repentir, la nécessité de la foi et du salut par la foi – il est très paulinien – la nécessité surtout de l’amour, de la charité. Il termine par une exhortation où il conseille fortement, avec autorité, aux Corinthiens de se repentir et de se soumettre à leurs presbytres, à leurs anciens contre lesquels ils s’étaient révoltés. Voilà rapidement le contenu de la lettre. 

Mais ce qui en fait l’intérêt, c’est le tableau qu’elle nous donne de l’Église de l’époque. Tout d’abord les citations: Clément de Rome cite sans cesse et abondamment l’Ancien Testament qu’il reprend textuellement. Il ne cite pas textuellement le Nouveau Testament pour la bonne raison que le canon du Nouveau Testament, les écrits qui le composent, n’a pas encore été groupé en un seul livre. 

Il cite l’Ancien Testament à la lumière de l’Évangile. Il ne paraît pas encore être familier avec les textes des quatre évangélistes, ni même les connaître, mais cependant il cite l’Ancien Testament selon l’Évangile : par exemple, lorsqu’il cite les prophètes, il dit : « Le Saint Esprit a dit ». Il connaît le Saint Esprit comme une personne de la Trinité et c’est donc à Lui qu’il attribue les écrits des prophètes, idée qui sera reprise par la suite dans le Credo. Mieux encore, lorsqu’il cite le psaume 31, où le Messie dit : « Je suis un ver et non pas un homme », il dit : « Lui-même le Christ dit encore… », il fait parler le Christ à travers les paroles du psaume 31, il considère le Christ comme l’auteur de ce psaume.
Nous voyons donc que saint Clément lit l’Ancien Testament à la lumière de la révélation de l’Évangile, qu’il lit l’Ancien Testament en chrétien, mais c’est l’Ancien Testament qui constitue les Écritures à son esprit. Pourtant, il connaît déjà bien les écrits de saint Paul, manifestement il a lu l’épître aux Hébreux et sans la citer textuellement, on retrouve souvent des accents de cette épître dont il semble profondément imprégné. Il cite aussi, en la mentionnant d’ailleurs, l’épître de saint Paul aux Corinthiens, puisque justement il écrit aux Corinthiens, et il leur rappelle que déjà, au temps où saint Paul leur écrivait, il y avait des divisions en leur sein. Il cite aussi la première épître de saint Pierre, lorsqu’il parle de la nécessité de l’amour et de la charité. N’oublions pas que Clément a sans doute connu personnellement et Pierre et Paul qui étaient morts à Rome une trentaine d’années avant sa lettre. 

Le contenu de l’Évangile est familier à saint Clément. Il vit l’Évangile de Jésus Christ, même sans paraître encore connaître le texte même des Évangiles, qui ne s’est sans doute pas encore répandu dans toutes les Églises. Ce qui est étonnant, c’est à quel point l’enseignement trinitaire lui est déjà familier. Souvent, les chrétiens s’imaginent que la Trinité est une élaboration postérieure de l’Église. Or, écoutons Clément qui dit : « Recevez notre conseil et vous n’aurez pas à vous en repentir, car aussi vrai que Dieu est vivant, est vivant le Seigneur Jésus Christ, vivant le Saint Esprit, objets de la foi et de l’espérance des élus… » 

Nous voyons que le Fils et l’Esprit sont vivants autant que Dieu le Père, dans l’esprit de Clément de Rome, et il en parle souvent, bien qu’évidemment le mot « Trinité » n’apparaisse pas encore. De même, lorsqu’il s’agit de la vie future, alors que le Credo que nous connaissons n’a pas encore été rédigé, il parle déjà du séjour des saints : « Toutes les générations depuis Adam jusqu’à ce jour ont passé, mais ceux qui ont été trouvés dans l’Amour, par la grâce de Dieu, demeurent dans le séjour des saints, se manifesteront lorsque apparaîtra le Royaume du Christ. » 

Nous voyons qu’il vit dans l’attente du Royaume du Christ et il sait que les disciples de Jésus Christ morts dans la foi demeurent déjà dans le séjour des saints en attendant l’apparition du Royaume. Remarquons la foi dans ce séjour des saints, il sait, comme saint Paul, qu’il n’y a pas de mort pour les chrétiens ! 

En même temps transparaît déjà son sens très aigu de l’Église : on sent qu’il a longuement médité les textes de l’épître aux Corinthiens sur l’Église corps du Christ et, parlant comme saint Paul, il donne ce conseil aux Corinthiens : « Les grands ne peuvent être sans les petits, ni les petits sans les grands, mais il y a de tout en toutes choses et c’est ainsi qu’elles sont utiles. Prenons notre corps : la tête n’est rien sans les pieds, de même les pieds ne sont rien sans la tête et nos moindres membres sont nécessaires et utiles au corps entier. Ou plutôt tous ensemble conspirent et collaborent dans une unanime obéissance au salut du corps entier. Qu’il demeure donc entier, ce corps que nous formons en Jésus Christ ; que chacun respecte en son prochain le charisme qu’il a reçu, que le fort prenne souci du faible, que le faible respecte le fort, que le riche secoure le pauvre, que le pauvre rende grâce à Dieu de lui avoir donné quelqu’un qui subvienne à ses besoins, que le sage manifeste sa sagesse non par des paroles mais par des bonnes œuvres, que l’humble ne se rende pas témoignage à lui-même mais qu’il laisse ce soin à d’autres. » Nous croyons entendre saint Paul parler dans les onzième et douzième chapitres de sa première épître aux Corinthiens, soulignant la nécessité de la solidarité des membres du corps du Christ qu’est l’Église, le Christ étant la tête et nous les membres. C’est bel et bien le message apostolique qui se prolonge. 

Père Cyrille Argenti (+)

Le père Cyrille Argenti fut une figure majeure de l’orthodoxie en France au XXe siècle. Résistant, moine et prêtre à Marseille, il a œuvré à l’avènement d’une orthodoxie d’expression locale ainsi qu’au dialogue oecuménique.

Pour lire d’autres textes du père Cyrille :
https://monastere-de-solan.com/content/24-pere-cyrille

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