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Lire et transmettre la Bible comme Parole de Dieu (1)

La réflexion qui va suivre regroupe des observations relatives à la Bible en général, sa nature comme Parole de Dieu et sa transmission, ainsi qu’à la genèse du Nouveau Testament et sa place dans les premiers siècles de l’ère chrétienne en particulier. À cet égard, il est primordial de souligner que, depuis la formation de ce qu’on appelle le canon du Nouveau Testament, c’est-à-dire l’ensemble des livres que l’Église considère comme normatifs et comme source d’enseignement et de dogme, le rôle exercé par la Bible n’a pas essentiellement changé.

La Bible, point focal de la Tradition

Si elle fait partie intégrante de la Tradition ecclésiale, il n’en reste pas moins vrai qu’elle occupe au sein de cette Tradition une place privilégiée. Elle constitue, pour ainsi dire, le joyau de la Tradition et son point focal. La liturgie, par exemple, est structurée autour de textes bibliques (psaumes, versets de psaumes, hymnes bibliques). Elle se déploie, en grande partie, sur un arrière-fond biblique comme une ample interprétation de l’Écriture faisant appel à un large éventail d’outils exégétiques dont la typologie,[1] l’allégorie, la relecture interprétative[2] et l’exégèse dogmatique[3].

En outre, la Bible est la source de l’enseignement doctrinal de l’Église, du dogme en particulier. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les écrits de saint Athanase d’Alexandrie (v. 300-373) contre les ariens – ceux qui affirmaient la nature créée du Christ – ou de saint Basile de Césarée (v. 330-379) contre les pneumatomaques – ceux qui combattaient la divinité de l’Esprit Saint – pour constater que le débat au 4e siècle gravitait surtout autour de la question de savoir comment comprendre la Bible de manière appropriée. On pourrait faire la même observation en ce qui concerne les écrits de saint Maxime le Confesseur (580-662) contre les monothélites, c’est à dire ceux qui ne reconnaissaient dans le Christ qu’une seule volonté divine.

Enfin, la Bible est le critère de la vie de l’Église. Cette dernière remarque peut se décliner sur deux registres. Tout d’abord, la Bible représente le point de repère de la vie liturgique et spirituelle des communautés chrétiennes (à titre collectif) et des personnes qui appartiennent à ces communautés (à titre individuel). C’est la raison pour laquelle la Bible est lue et commentée lors de la divine liturgie et des autres célébrations liturgiques ; c’est aussi la raison pour laquelle les Pères de l’Église incitaient les fidèles à lire la Bible de manière régulière et fréquente. Ensuite, la Bible est le texte de référence à l’aune duquel nous cherchons à délibérer, à juger, et surtout à fournir des réponses aux questionnements éthiques qui interpellent notre conscience aujourd’hui. Mais comme il n’est pas du tout évident de calquer un jugement ou un comportement éthique actuel sur le contenu d’un livre qui fut rédigé il y a des siècles auparavant, dans des contextes culturels et sociétaux bien différents, l’interprétation de la Bible, loin de passer pour un luxe, se révèle être une nécessité incontournable.

Ainsi, la Bible est un livre qui invite non seulement à la prière et à la méditation, mais aussi à l’interprétation et à une lecture raisonnée.

L’amour de Dieu, qui s’est révélé par la crucifixion et la Résurrection de Jésus, montre le chemin.

Unité de la Bible

On entend souvent dire que l’Église des premiers siècles n’avait pas de Bible. C’est pour le moins inexact. À vrai dire, il n’y a pas eu de temps où l’Église n’avait pas de Bible. Bien sûr, il y a eu une époque où il n’y avait pas de Nouveau Testament. Cependant, dès le début, l’Église a considéré les livres que les juifs du temps de Jésus appelaient « l’Écriture » (graphē), et tenaient pour sacrés et normatifs, comme son propre livre, sa propre Bible, en les appelant ultérieurement « l’Ancien Testament ». Cette adoption de l’ancienne Écriture fut possible parce que l’Église lisait l’Ancien Testament à travers la grille inteprétative de Jésus de Nazareth et en se fondant sur ce qu’elle avait vécu en Lui. Pour la communauté des disciples de Jésus, le sens ultime de la Torah, des Prophètes et des ketubim (les autres livres : prophétiques et sapientiaux), selon la division classique de la Bible hébraïque, ne saurait se déchiffrer qu’à la lumière de Jésus, surtout de sa mort sur la Croix et de sa Résurrection.

Compte-tenu de ce préalable interprétatif, il semble naturel qu’un certain nombre d’écrits se rapportant plus directement à Jésus, notamment les lettres de saint Paul et les quatre évangiles, soit venu se greffer sur l’ancienne Écriture pour constituer avec elle ce qu’on appelle aujourd’hui la Bible chrétienne. Depuis, le positionnement de l’Église face à la question du rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament n’a pas changé : il s’agit d’un seul récit, d’une seule histoire de Dieu avec son peuple et avec l’humanité tout entière, on dirait en anglais un seul « mega-narrative ».

Tout en couvrant plusieurs siècles et en incluant un grand nombre de genres littéraires – y compris des textes mythologiques, historiques, biographiques ou quasi-biographiques – l’Église a toujours souligné, et continue à le faire aujourd’hui, l’unité de la Bible.

À l’aube du premier millénaire, il en résulta un débat entre le judaïsme et le christianisme sur la manière d’interpréter l’Ancien Testament. Nous trouvons les amorces de ce débat dans les livres du Nouveau Testament eux-mêmes, en particulier dans les lettres de saint Paul, où l’apôtre met en avant une lecture christologique de la Torah, ayant recours à des méthodes d’interprétation assez répandues parmi les juifs de la diaspora (voir, par exemple, 1 Cor 10, 1-4 ; 2 Cor 3,12-17). Pourtant, ce débat prend une forme plus structurée et plus systématique dans le dialogue de saint Justin Martyr (mort vers 165) avec le rabbi Tryphon. Le conflit des interprétations quant à l’Ancien Testament est toujours d’actualité, non seulement entre juifs et chrétiens, mais aussi entre les chrétiens et certains courants séculiers qui rejettent l’Ancien Testament.

A suivre…

Assaad Elias Kattan

Assaad Elias Kattan est théologien, spécialiste de l’herméneutique biblique et du dialogue islamo-chrétien, professeur à l’université de Münster.


[1] Le schéma classique de la typologie est la préfiguration d’un fait ou d’une personne dans le Nouveau Testament par un type (fait ou personne) dans l’Ancien Testament. Ainsi, Moïse devient la préfiguration, ou le type, de Jésus, la mer rouge la préfiguration du baptême.

[2] La relecture interprétative consiste à paraphraser ou à raconter de nouveau une histoire biblique en fournissant des commentaires ou des élucidations de certaines difficultés qu’on retrouve dans le texte: « Mais, comme une faible femme, elle [Marie Magdalène] a encore des pensées terrestres; aussi est-elle avertie de ne pas te toucher, ô Christ! » (8ème éothinon – hymne paraphrasant l’évangile – des matines du dimanche).     

[3] L’exégèse dogmatique consiste à interpréter des passages bibliques en s’inspirant des données du dogme chrétien, surtout de l’enseignement des conciles œcuméniques sur la divinité du Christ et ses natures humaine et divine.

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