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L’autre lumière : un témoignage sur Olivier Clément

Photo : OL

Le quinze janvier dernier nous commémorions l’anniversaire des quatorze ans de la mort du théologien Olivier Clément (1921-2009). À cette occasion, nous publions ici un témoignage sur la toute dernière période de la vie du théologien, alors qu’il restait alité en permanence dans sa chambre mais n’en continuait pas moins à recevoir de nombreuses visites.

Dans la pénombre grandissante de la chambre envahie par le crépuscule, le visage d’Olivier semble éclairé de l’intérieur. À gestes lents, qui mesurent leur effort, il déplace un crayon, porte un verre à ses lèvres, marque son assentiment d’un hochement de tête imperceptible. Le bas de son corps emmailloté par l’épaisseur des couvertures, il est tout entier présent dans son regard, tout entier attentif, dans une écoute si intense qu’on la croirait palpable. Olivier écoute, il concentre ses forces, ses sourcils épais surmontés d’un front immense se plissent. L’interlocuteur laisse le silence envahir l’espace et Olivier rassemble alors ses forces pour ouvrir la bouche. Sa parole mesurée n’en semble alors que plus réfléchie. Des mots choisis, pensés, pesés à l’aune de l’effort qu’ils nécessitent, qui touchent directement au cœur.

Par la fenêtre de la chambre s’est retiré le dernier feu du crépuscule. La main discrète de sa femme Monique vient tourner le commutateur et c’est la nuit, rythmée par le scintillement intermittent de la tour Eiffel à l’horizon. Mais la vraie lumière est ailleurs. Où Olivier allume-t-il cette étincelle qui danse au fond de sa pupille ?

On se retourne pour voir ce qui occupe son regard, durant ces heures uniformes de réclusion entre les quatre murs de la chambre. Sur la bibliothèque chargée de livres qui lui fait face s’alignent une aquarelle de Jérusalem, la photo de ses petits-enfants, une icône de la Vierge. Serait-ce dans tous ces épais ouvrages qu’Olivier a puisé sa sagesse, éprouvée au creuset de la maladie ? On sent la réponse toujours ailleurs, comme la lumière sur l’icône dont on ne peut déterminer la source.

Cette lumière nous échappe, cette patience endurante nous dépasse. On est là aux portes d’un mystère dont on pressent confusément la grandeur. Présence intense, difficilement soutenable, tant affleure, en elle, à travers elle, l’autre Présence, celle du Tout-autre.

Sur son lit articulé, Olivier est un visage de lumière qui nous ouvre à la vraie réalité, cette plénitude qui crève le plus souvent nos pauvres yeux d’aveugles sans que nous y prêtions attention et qui parfois, heureusement, éclate dans l’évidence d’un homme transfiguré. Chantre de la beauté des visages, Olivier ne s’est pas contenté de mots. C’est avec sa personne toute entière qu’il témoigne, sous le boisseau de son état grabataire, de la vraie Lumière. Et l’on imagine – une fois parti le visiteur venu échanger les actualités ecclésiales – le regard du théologien se porter sur l’icône de la Vierge face à lui et poursuivre la conversation silencieuse qui occupe en permanence son cœur.

On a beaucoup dit d’Olivier qu’il était l’un de ces grands passeurs de notre temps : relais de la Tradition apostolique, pont entre les Églises d’Orient et d’Occident, point de contact entre le christianisme et le monde contemporain… Il est surtout à l’image de l’unique Passeur, qui nous conduit de la mort à la vie, de la terre au ciel. Par cette autre lumière qui irradie, à l’instar de l’icône, de son visage posé sur l’oreiller, Olivier nous invite depuis son humble couche de paralytique à tourner le regard vers les réalités célestes qui se reflètent, si simples, dans son regard.

Olga Lossky-Laham

Olga Lossky-Laham est romancière et doctorante en théologie, mère de 3 enfants. Elle est engagée dans une réflexion sur l’actualisation de la tradition orthodoxe et la transmission de la foi. Elle est également membre fondatrice de l’équipe éditoriale des Chroniques du Sycomore.

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