Voix féminine majeure de la théologie orthodoxe contemporaine, Élisabeth Behr-Sigel – disparue presque centenaire – a épousé les grandes péripéties de son siècle, en particulier celle de la rencontre entre l’Orient et l’Occident chrétiens.
Née en 1907 à Strasbourg, d’un père luthérien et d’une mère juive, la future théologienne baptisée dans l’Église protestante ne deviendra française qu’en 1918, à l’issue de la Grande Guerre. Après avoir entamé des études de philosophie, elle est en 1927 l’une des premières femmes à pouvoir accéder en France au cursus de théologie, à la Faculté Protestante de Strasbourg. Là, elle fait la connaissance de jeunes étudiants Russes qui vont l’initier à la théologie de l’Église d’Orient. Enthousiasmée par cette découverte, la jeune femme décide de poursuivre ses études à Paris, où elle rencontre le père Lev Gillet, prêtre orthodoxe fondateur de la première paroisse francophone, ainsi que de nombreuses personnalités de l’émigration russe, tels Paul Evdokimov ou le père Serge Boulgakov.
À l’issue de son cursus théologique, Élisabeth Behr-Sigel accepte la charge de pasteur auxiliaire dans un village des Vosges, devenant ainsi l’une des premières femmes à exercer cette fonction. Sa décision de s’unir à l’Église orthodoxe y met un terme, ainsi que son mariage avec un chimiste d’origine russe, André Behr. Le couple s’installe à Nancy en 1933 et y restera plus de trente années.
Durant cette période, Élisabeth Behr-Sigel partage son temps entre l’enseignement de la philosophie, le soin de sa famille – qui comptera trois enfants – et la recherche théologique. De sa maîtrise universitaire sera tiré un premier ouvrage sur la sainteté dans l’Église russe, tandis que sa thèse portera sur un théologien oublié du XIXe siècle, Alexandre Boukharev. Élisabeth en vient ainsi à être connue comme une spécialiste de la sainteté et de la spiritualité russes. Durant la seconde guerre, la théologienne vit à Nancy une expérience œcuménique intense, partageant avec un petit groupe d’amis des trois confessions chrétiennes les incertitudes de ces années de lutte. Tous sont engagés dans des activités de résistance. En contact avec Mère Marie Skobstov à Paris, Élisabeth cache dans son appartement une petite fille juive.
Après la mort de son époux, la théologienne rejoint la banlieue parisienne vers la fin des années 60. À la faveur de la retraite, elle va pouvoir se consacrer entièrement à ses centres d’intérêt théologiques. Elle déploie alors une intense activité, tout d’abord sur le plan orthodoxe : elle est l’un des piliers de la revue Contacts, elle participe à la fondation dans les années 70 de la Fraternité Orthodoxe en Europe Occidentale qui a pour objectif de rassembler les orthodoxes issus de différentes juridictions. Sa paroisse de la Sainte-Trinité, à Paris, bénéficie de son énergie comme marguillière (responsable laïque).
La théologienne est aussi très présente dans les milieux œcuméniques pour amener les différentes familles chrétiennes à mieux se connaître. Par ses cours à l’ISEO (Institut Supérieur d’Études Oecuméniques), elle donne un éclairage sur la théologie et la spiritualité de l’Église d’Orient. Élisabeth est également active au sein du COE (Conseil Oecuménique des Églises), grâce auquel elle devient progressivement la pionnière de la réflexion sur la place des femmes dans l’Église orthodoxe. Élisabeth va introduire ce champ de réflexion au sein de sa Tradition et contribuer ainsi à permettre aux femmes orthodoxes de mettre leurs charismes au service de la communauté ecclésiale.
Dans les années 90, elle rédige la biographie de son grand ami le père Lev Gillet, y donnant à lire en filigrane l’histoire de l’implantation de l’orthodoxie en France. Engagée à la CIMADE, vice-présidente de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) durant une décennie, celle qui est désormais connue comme la “grand-mère de l’orthodoxie” ne néglige pas non plus la dimension sociale du témoignage chrétien. À sa mort en 2005, elle est reconnue comme l’une des personnalités phares du dialogue entre les Églises d’Orient et d’Occident.
Olga Lossky-Laham
Olga Lossky-Laham est romancière et doctorante en théologie, mère de 3 enfants. Elle est engagée dans une réflexion sur l’actualisation de la tradition orthodoxe et la transmission de la foi. Elle est également membre fondatrice de l’équipe éditoriale des Chroniques du Sycomore.
Ouvrages d’Élisabeth Behr-Sigel :
Prière et sainteté dans l’Église russe, SO n° 33, abbaye de Bellefontaine, 1982.
Alexandre Boukharev, un théologien de l’Église orthodoxe russe en dialogue avec le monde moderne, Paris, Beauschesne, 1977.
Le Ministère de la femme dans l’Église, Paris, Cerf, 1987.
Le lieu du cœur, initiation à la spiritualité orthodoxe, Paris, Cerf, 1989.
Lev Gillet « Un moine de l’Église d’Orient », Paris, Cerf, 1993.
« La prière à Jésus » dans La Douloureuse Joie, SO n°14, abbaye de Bellefontaine, 1993.
Discerner les signes du temps, Paris, Cerf, 2002.
Ouvrage sur Élisabeth Behr-Sigel :
Olga Lossky, Vers le Jour sans déclin. Une vie d’Élisabeth Behr-Sigel, Paris, Cerf, 2007.
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