Les paroles du Christ à ses disciples en Mt 6, 22-34 sont marquées par ces paroles emblématiques de Jésus : “Ne vous inquiétez pas.”
« Ne vous inquiétez pas de vos besoins nous dit-Il, car Dieu nourrit les oiseaux sans qu’ils travaillent, et les champs se répandent de la beauté des fleurs éphémères, qui ne sont pas égalées par toutes les splendeurs du Roi Salomon.
Et si nous sommes plus précieux à Dieu que les oiseaux, ou les petits lys des champs qui sont brûlés avec l’herbe chaque matin, pourquoi nourrir la moindre inquiétude ? »
Dit ainsi, avec tant de poésie, on ressent tout d’abord un léger apaisement face à nos soucis. Puis notre esprit nous rappelle assez vite que nous sommes différents des oiseaux, différents des lys des champs. Car, si nous ne travaillons pas, si nous ne cueillons pas aujourd’hui pour demain, si nous ne nous habillons pas, il est peu probable que demain nous nous retrouvions avec de quoi manger ou couvrir nos corps.
Jésus prêche-t-Il un rêve pastoral, où nous nous allongeons dans les champs sous les arbres et attendons que les fruits mûrs tombent ?
Jésus se moque-t-Il de nous ?
Peut-être nous provoque-t-Il un peu…
L’Évangile de Mathieu est ancré dans la tradition juive. Pour l’audience qui écoutait ces paroles, le Roi Salomon était quelque part l’image de l’accomplissement de l’œuvre du peuple d’Israël car c’est sous le Roi Salomon que le temple de Jérusalem est enfin achevé.
Quand on pense à la splendeur du roi Salomon, il ne faut pas seulement avoir à l’esprit les excès mondains d’un roi oriental, (même si la Bible nous les raconte !), mais cela nous évoque aussi la splendeur d’un travail multigénérationnel, commandé par Dieu Lui-même et fini, accompli sous Salomon.
Rappelons-nous que Dieu a donné au peuple d’Israël, lorsqu’il était dans le désert et sans grande ressource, la tâche explicite de construire l’Arche d’Alliance et son Tabernacle, la demeure de Dieu parmi ce peuple vagabond.
L’hébreu utilise deux mots différents pour le travail : un qui signifie « œuvre », et un autre pour le travail contraint, le travail du peuple en esclavage.
C’est ce premier mot « mela’khah »/”œuvre” qui est utilisé pour ce travail du temple, comme il est utilisé dans le Genèse pour le travail créateur de Dieu.
Donc, dès le début, Dieu montre l’importance de créer, l’importance du travail de création, et demande à son peuple « d’œuvrer » avec Lui (ici avec le travail du temple).
Ce travail artisanal, cette œuvre est donc un véritable travail de transformation, où l’on prend des éléments bruts de la nature, que l’on transforme en objet du culte très élaboré.
Cependant, parallèlement à cette tâche, cette œuvre du peuple, Israël était complètement dépendant de la manne quotidienne de Dieu. Cette manne était éphémère, et, comme les lys, apparaissait chaque matin et disparaissait avec l’arrivée de la chaleur du jour.
Il était strictement interdit aux Israélites de garder des provisions qui dépassaient la journée (hors veille du shabbat). Ce qui était donné quotidiennement était ce qui soutenait la vie et permettait leur œuvre.
Nous avons donc deux éléments qui marchent en parallèle :
- La manne de Dieu dont le peuple était entièrement dépendant pour sa vie, et qu’il était strictement interdit de « stocker », et
- La tâche donnée au peuple de construire, et de se construire. De transformer la matière brute, ce « donné », en art sacré, suivant les commandements de Dieu.
Les paroles du Jésus reprises ici par Matthieu constituent-elles un renversement, un « volte-face » de la part de Dieu ? Sommes-nous censés regarder les lys, que seul Dieu peut créer, et conclure que nos efforts sont futiles ?
Nous reviendrons sur cela.
Mais tournons-nous maintenant vers une histoire du Nouveau Testament : celle du « précurseur » de Jésus, saint Jean Baptiste, dont la naissance est commémorée le 24 juin. Jean Baptiste prononce ces mots prophétiques :
« Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché ! »
C’est lui dont avait parlé le prophète Esaïe quand il disait : « Une voix crie dans le désert : “Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.” »
Nous revenons donc au thème de l’œuvre :
- Nous préparons avec Jean Baptiste le temple de Dieu, ce temple ultime qui est pour nous le Christ et que nous revêtons par le baptême. Jean Baptiste annonce la Messie : le Roi de toute chose qui seul accompli l’œuvre de Dieu.
- Participer à cette œuvre exige une renouvellement de la foi, et la croyance que Dieu pourvoit à l’essentiel pour nos vies – qu’Il nous donne ce que nous ne pouvons ni comprendre, ni créer. Il se donne Lui-même.
Pourquoi mettre autant l’accent sur ce thème de travail, de préparation et d’accomplissement dans une Évangile qui nous exige de « ne pas s’inquiéter » ?
C’est pour suggérer qu’il n’y a pas d’antinomie dans ces mots du Christ : nous sommes toujours appelés à participer, à œuvrer à la création, à créer de la beauté, soutenus par la manne du Seigneur. C’est quand on oublie cette manne que nous perdons le chemin de Dieu.
Nous vivons donc dans ce paradoxe où tout a été accompli pour nous en Christ, et où en même temps beaucoup reste à faire.
Nous devons nous demander continuellement, comme Salomon quand il a terminé la construction du temple : « Est-ce que vraiment Dieu pourrait habiter sur la terre ? » et répondre avec Jean Baptiste : Oui !
Ne soyons pas anxieux : Dieu a tout créé, Il a tout mis à notre disposition.
Ouvrons nos yeux pour voir et croire dans l’œuvre de Dieu qui dépasse, et dépassera toujours les capacités des hommes. Mais n’oublions pas de participer à cette création, à cette œuvre. Dans ce renouvellement en Christ, nos efforts ne sont pas futiles.
Liesl Coffin-Behr
Liesl Coffin-Behr a étudié la philosophie et la théologie, aux États-Unis et en France. Elle est membre de l’équipe éditoriale du journal The Wheel. Elle est également instructrice en Pilates.
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